Le 5 novembre dernier, le marché actions a connu une séance peu commune, où les valeurs les plus pénalisées par les taxes douanières américaines ont tout à coup surperformé le reste du marché.
Par Alexis Bienvenu, gérant et Michel Saugné, CIO

La raison est manifeste: à Washington s’était tenue l’audience de la Cour Suprême américaine consacrée à l’examen de la légalité d’une partie des taxes à l’importation imposées par Donald Trump. Or cette audience a semblé nettement défavorable aux positions de la Maison Blanche, bien que la décision ne soit attendue que dans plusieurs semaines, voire plusieurs mois.
La partie pouvait pourtant sembler bien engagée: parmi les neuf juges de la Cour Suprême, six sont réputés «conservateurs», dont trois nommés directement par Trump lors de son premier mandat. Une majorité confortable et a priori docile.
Pourtant, l’utilisation de la loi utilisée par Trump pour imposer une partie de ces taxes, le International Emergency Economic Powers Act (IEEPA), est apparue tellement difficile à défendre juridiquement que même une partie des juges conservateurs a affiché son scepticisme, laissant supposer un jugement final défavorable à la Maison Blanche.

A vrai dire, cela ne serait guère surprenant. A deux reprises déjà, en première instance puis lors d’un appel au niveau fédéral, des cours de justice américaines se sont prononcées contre la légalité du recours à cette loi pour imposer des taxes douanières. L’argument était d’une solidité redoutable: l’imposition de nouvelles taxes reste, de façon générale, une compétence exclusive du Congrès, non du Président. Contre cet argument, fondé sur la séparation des pouvoirs, un principe fondamental des démocraties modernes, l’administration Trump faisait valoir que la loi IEEPA permettait en cas d’urgence de prendre des mesures exceptionnelles. En défendant l’idée que le déficit commercial américain abyssal et les importations de Fentanyl caractérisaient un état d’urgence, la Maison Blanche espérait justifier le recours à cette loi d’exception. Il semble pourtant que les juges aient été peu impressionnés par cette défense. Car on peut difficilement soutenir que le déficit commercial présente un état d’urgence, alors qu’il perdure depuis des décennies sans nuire particulièrement à l’économie américaine. Quant aux importations de Fentanyl, elles ne seront pas directement contrées par des taxes douanières à l’égard de la Chine, mais plutôt par des contrôles douaniers et une politique sanitaire efficace.
Si, comme cela semble désormais concevable, le recours à l’IEEPA était invalidé par la Cour Suprême, qu’attendre des marchés? Plongeraient-ils en raison la défaite trumpienne, suivie de probables coups de colère présidentiels ? Ou se réjouiraient-ils au contraire de la fin de ces taxes, qui allègeront les coûts sur les produits importés?
On peut conjecturer que les taux d’intérêts se tendraient en raison du manque à gagner fiscal, qui aggraverait la situation budgétaire. Et que les actions, à l’exception des valeurs les plus pénalisées jusqu’ici par ces taxes, pâtiraient de cette hausse de taux, d’autant que l’incertitude sur l’avenir de la politique tarifaire remonterait. Mais à l’inverse, la Réserve Fédérale pourrait retrouver de la marge de manœuvre pour baisser ses taux grâce à la suppression d’une source d’inflation, ce qui soutiendrait les actifs risqués. Difficile d’anticiper de quel côté pencherait finalement la balance.
Mais à vrai dire, cette façon binaire de poser la question n’est pas la meilleure. Car même si la Cour Suprême invalidait, au moins partiellement, le recours à l’IEEPA pour l’imposition de taxes douanières, elle n’empêcherait probablement pas l’utilisation d’autre lois spécifiques pour arriver aux mêmes fins, sans même que le Congrès doive être consulté. Il existe en effet une panoplie de lois sur lesquelles la Maison Blanche s’est déjà appuyée pour instaurer des droits de douane ciblés, sans que cette utilisation ait été jusqu’ici remise en question. Il s’agit notamment d’articles présents dans le Trade Expansion Act et dans le Trade Act. Seulement, ces lois sont plus contraignantes à mettre en œuvre. Certaines requièrent des enquêtes préalables avant de pouvoir être invoquées, d’autres limitent dans le temps ou dans leur ampleur les taxes applicables. Le «plan B» serait donc fastidieux et limité, empêchant Trump de porter ses coups de façon discrétionnaire. La plus haute Cour porterait ainsi à la gouvernance trumpienne un coup suprême. Un coup de maître pour défendre son périmètre.
Rédaction achevée le 7.11.2025
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