Droits de douane de Donald Trump, inflation persistante, turbulences géopolitiques… Malgré les espoirs d’une éclaircie au second semestre, le contexte économique demeure incertain, ce qui profite aux valeurs sûres que sont les hedge funds et les grandes banques.
Ceux qui espéraient une embellie économique pour le second semestre 2025 ont pour l’heure de quoi être déçus. Après la pause estivale, l’horizon ne semble guère s’être éclairci, bien au contraire.
Il y a, d’abord, l’incertitude qui persiste quant aux droits de douane de Donald Trump. Il apparait désormais clair que ceux-ci ne sont pas un outil temporaire grâce auxquels le président américain, avec le choc du Liberation Day, entendait inciter les entreprises à rapatrier une partie de leur production aux États-Unis. Mais bien plutôt une arme qu’il compte brandir pour imposer sa volonté à chaque épisode de négociations, lorsque sa politique intérieure l’exige, ou simplement en fonction de ses sauts d’humeur.
La politique douanière de Trump, plus que jamais source d’instabilité
Au cours des dernières semaines, Donald Trump a ainsi menacé les entreprises pharmaceutiques de droits de douane prohibitifs si elles refusaient de baisser les prix de leurs médicaments (cette baisse des prix était l’une promesse de campagne du président); des droits de douane de 100% sur tous les films hollywoodiens filmés en dehors des États-Unis; et une hausse des tarifs imposés à l’Inde si elle persiste à acheter du pétrole russe. Il paraît ainsi vraisemblable que, jusqu’à la fin de la seconde présidence Trump, les droits de douane demeureront un mode de gouvernement avec lequel les investisseurs seront contraints de composer.
La difficulté provient également de l’imprévisibilité avec laquelle le président américain tend à annoncer de nouveaux droits de douane, et à ses multiples revirements en la matière. À peine signé, l’accord commercial entre les États-Unis et l’Union européenne est ainsi d’ores et déjà remis en question. En effet, Trump a notamment menacé le Vieux Continent de nouveaux droits de douane si les règlements sur les entreprises numériques comme le Digital Markets Act (DMA) et l’IA Act, qui ciblent selon lui les entreprises américaines, n’étaient pas abrogés.
Un nouveau soubresaut pourrait bien advenir le 5 novembre prochain : la Cour suprême devra se prononcer sur la légalité des droits de douane du président américain, qui a invoqué une loi de 1977, l’International Emergency Economic Powers Act (IEEPA), pour passer ceux-ci sans nécessiter un vote du Congrès.
Quelle que soit la décision, elle pourrait générer encore davantage d’incertitude. Si les droits de douane sont jugés illégaux, l’État américain devrait rembourser des milliards de dollars aux entreprises qui ont été touchées, générant un véritable chaos fiscal et commercial. Si, au contraire, la Cour suprême valide la politique tarifaire du président, il se sentira les mains libres pour imposer des droits de douane selon son bon vouloir, sans se soucier du Congrès, ce qui risque d’accroître encore l’imprévisibilité de sa politique.
Poussées inflationnistes et turbulences géopolitiques
Subsiste également le risque inflationniste, en particulier aux États-Unis, où la politique douanière de Trump et les dépenses pharaoniques de la One Big Beautiful Bill font craindre une résurgence de celle-ci. Lorie Logan, de la Fed de Dallas, a récemment déclaré que l’objectif de 2% d’inflation serait difficile à atteindre, même sans prendre en compte l’impact des droits de douane de Trump. La confiance des consommateurs américains a en outre baissé en septembre, notamment du fait de leur inquiétude concernant l’inflation.
Les pressions croissantes de Donald Trump sur la Fed et son président, Jerome Powell — le président américain a régulièrement affirmé vouloir le licencier, même s’il n’en a pas le pouvoir, et a récemment posté un dessin le montrant en train de le virer — sèment quant à elles le doute sur la future indépendance de la Fed. Une subordination de celle-ci au gouvernement américain serait une mauvaise nouvelle pour la lutte contre l’inflation. La zone euro n’est pas non plus épargnée par le risque inflationniste.
Aux États-Unis, le contexte politique explosif est également source d’incertitude. Le récent arrêt des activités gouvernementales suite à l’incapacité des démocrates et républicains à trouver un accord sur le budget en est une récente conséquence visible. Sur le plan international, la poursuite de la guerre en Ukraine est aussi une mauvaise nouvelle. Le président américain a, à cet égard, dernièrement changé son fusil d’épaule. Après avoir parlé de trouver un traité de paix le plus vite possible, Donald Trump a affirmé que l’Ukraine avait la capacité de reprendre la totalité des territoires conquis par la Russie et évoqué la livraison de missiles Tomahawk à l’Ukraine.
Le retour en force des hedge funds, favorisés par un contexte incertain
En période d’incertitude, il est courant que les investisseurs se détournent des actifs plus risqués, comme les actions, au profit de paris plus sûrs, tels que les obligations ou les métaux précieux. Mais certaines actions peuvent également tirer leur épingle du jeu, selon David M., cadre dans une grande entreprise américaine de gestion d’actifs. L’heure est notamment aux valeurs sûres, par opposition aux actions de croissance.
«Les valeurs sûres connaissent un retour en grâce après des années difficiles. Alors que l’inflation a de bonnes chances de rester élevée et que les banques centrales cherchent à la juguler, les circonstances leur sont devenues favorables. Parmi les valeurs sûres, les investisseurs ont intérêt à miser sur la diversification et les attributs défensifs. Une plus haute exposition aux valeurs financières, aux équipementiers et aux produits cycliques permet de mitiger les risques de l’inflation, tout en offrant un haut niveau de défense en période de taux élevés et de volatilité des marchés. Dans le même temps, la tendance à la démondialisation, la hausse des dépenses fiscales et la transition énergétique incitent à investir à long terme.»
Ce contexte signe notamment un retour en grâce des hedge funds, ces fonds d’investissement aux stratégies alternatives complexes. Comme le note un récent rapport de BlackRock, «la disparition de certitudes macroéconomiques de long terme» qui ont nourri le bull market des dernières années rend la mise en place d’une bonne stratégie d’investissement plus difficile, et valorise du même coup l’expertise des hedge funds. Ils sont en effet capables de repérer les bonnes opportunités même dans un contexte défavorable grâce à leurs investissements décorrélés des tendances, le pari sur les fusions acquisitions et les écarts de devise, ou encore des plateformes technologiques désormais dopées à l’IA pour repérer les motifs cachés et réaliser de gros coups.
Selon la plateforme financière Hedge Fund Research, les hedge funds sont ainsi en passe de réaliser leur meilleure année depuis fort longtemps. Ils ont collecté 37,4 milliards de dollars rien qu’au premier semestre 2025 — soit la plus grosse collecte depuis le premier semestre 2015 et trois fois plus que toute l’année 2024 (11 milliards de dollars). Signe qui ne trompe pas, Neeraj Seth, un ancien de BlackRock, a annoncé fin septembre un nouveau hedge fund doté d’une enveloppe colossale de 700 millions de dollars.
Comment les grandes banques tirent leur épingle du jeu
Les grandes banques américaines, comme Goldman Sachs et JP Morgan, tirent également leur épingle du jeu pour des raisons similaires. Leur diversification au-delà de la banque traditionnelle (dans la gestion d’actifs, le trading, la gestion de portefeuille…) leur assure une résilience face aux variations de la conjoncture, et leur expertise dans la gestion des risques signifie que les périodes de bear market riment généralement avec hausse de la demande pour celles-ci.
Ces banques ont par ailleurs été pionnières dans l’adoption de l’IA au service de leurs activités d’investissement. JP Morgan a par exemple mis en place un programme baptisé LLM Suite, afin d’exploiter les grands modèles de langage des meilleures startups d’IA au monde, et de les faire tourner sur les bases de données et applications logicielles de la banque. Derek Waldron, le chief data analytics de la banque, a récemment affirmé que celle-ci était en train d’être «fondamentalement repensée» pour l’âge de l’IA, et a montré sur la chaîne américaine CNBC comment un programme d’IA pouvait désormais mettre au point une stratégie d’investissement en trente secondes, tâche qui mobilisait auparavant toute une équipe durant plusieurs heures. Ce mélange d’expérience et de pratiques innovantes constitue un atout essentiel en ces temps incertains.