L'expansion mondiale se trouve prise en étau entre tensions géopolitiques d’une part, et soutien des politiques publiques d’autre part.

Par Marc-Antoine Collard, Chef économiste, Directeur de la recherche

 

Performances exprimées en devises locales

Les données économiques récentes suggèrent néanmoins que le ralentissement économique persistera probablement plus longtemps qu’anticipé jusqu’alors par la majorité des économistes. En effet, les indicateurs avancés restent dégradés, en particulier dans le secteur manufacturier. Jusqu’à présent, le secteur des services avait résisté, grâce à un marché du travail robuste et une politique budgétaire modestement expansionniste. Cependant, la dichotomie entre le secteur manufacturier et celui des services s’est effritée, les deux secteurs n’étant pas isolés. Ainsi, la récession industrielle semble se propager aux perspectives de croissance de l’ensemble de l’économie par le truchement de l’emploi, les enquêtes portant sur la confiance des entreprises faisant état d’une baisse des intentions d’embauche dans plusieurs pays.

La détérioration des perspectives de croissance combinée aux politiques monétaires accommodantes ont conduit à une chute des rendements obligataires à un niveau inégalé. Le montant des emprunts souverains et des obligations d’entreprise affichant des rendements négatifs a d’ailleurs atteint plus de 17’000 mds USD selon certaines estimations, soit environ 20% du PIB mondial. Certes, la baisse des taux d’intérêt contribuera à atténuer l’ampleur du ralentissement économique mondial.

Performances exprimées en devises locales

Toutefois, l’impact des politiques monétaires pourrait être modeste dans le meilleur des cas, en particulier au sein des économies avancées. À cet égard, la Fed dispose de la plus grande marge de manoeuvre, alors que l’économie américaine pâtit du ralentissement mondial comme en témoignent l’atonie des dépenses d’investissement des entreprises et le tassement du rythme des créations d’emplois. Or, étant donné un coût d’emprunt déjà faible, ne constituant guère un obstacle pour la plupart des entreprises, des taux d’intérêt encore inférieurs pourraient ne pas être en mesure de raviver la croissance des dépenses d’investissement. En outre, on ne peut exclure l’existence d’un niveau plancher du taux directeur à partir duquel toute baisse supplémentaire endommagerait l’économie plus qu’elle ne l’aiderait en raison, notamment, de son impact négatif sur la rentabilité des banques et donc sur leur capacité à octroyer du crédit.

OCDE – Indicateur économique avancé

En Zone euro, la BCE a abaissé son taux de dépôt de -10 pdb, à -0,5%, et a relancé son programme d’achat d’actifs (QE) vraisemblablement dans une perspective de long terme. Afin de dissiper les critiques, un système à palier a été mis en place dans lequel une partie de l’excédent de liquidité détenu par les banques ne sera pas soumise au taux négatif de la facilité de dépôt. Cela dit, la volonté et la capacité d’agir de la BCE sont incertaines, car la dissidence des «faucons» a conduit les acteurs du marché à se demander jusqu’où le Conseil des gouverneurs pouvait encore assouplir la politique monétaire. En outre, la faible prévision d’inflation à horizon 2021, malgré un QE quasi-illimité, pose la question de l’efficacité de la transmission de sa politique industrielle monétaire. Dans ce contexte, la BCE a explicitement demandé que les politiques budgétaires soutiennent à leur tour la croissance, mais pour le moment, très peu de pays ont à la fois la capacité fiscale et la volonté politique de répondre à cet appel.

É.-U. – Emploi et enquête auprès des PME

Parallèlement, la Chine a réduit, de nouveau, le ratio de réserves bancaires obligatoires de -50 pdb. Plus généralement, même si les conditions monétaires ont été assoupli depuis plus d’un an, la croissance économique chinoise n’a de cesse de faiblir. Alors que les tensions commerciales amplifient ce ralentissement, l’absence de réponse de l’activité économique aux multiples mesures mises en place s’explique également par un mécanisme de transmission des politiques altéré, lié en partie à un endettement élevé du secteur privé. De plus, la lutte des autorités contre la corruption et la pollution, ainsi que la réforme du système bancaire parallèle (shadow banking) sont également en jeu. Par conséquent, l’optimisme suscité par les récentes annonces de politiques pourrait s’avérer exagéré et serait, dès lors, de nature à engendrer des déceptions chez les investisseurs, non seulement en raison de l’ampleur, mais également de l’efficacité des mesures de soutien.

Chine – Production industrielle

Par ailleurs, la réduction des taux d’intérêt américains conjuguée à des pressions inflationnistes limitées ont permis à de nombreuses banques centrales de pays émergents d’abaisser leurs taux directeurs. Cela étant, la détérioration du sentiment vis-à-vis des actifs issus de ces marchés et la dépréciation du yuan se sont accélérés, entraînant dans leur sillage une baisse de la plupart des devises face au USD. Ce mouvement pèsera inévitablement sur la capacité du secteur privé à rembourser la dette libellée en USD, forçant ainsi certains pays à resserrer leurs politiques monétaires.

S’ajoutant à une équation déjà complexe, la faiblesse du commerce mondial et le ralentissement de la Chine ont exacerbé les vulnérabilités persistantes dans de nombreux pays émergents.

Pays émergents – Taux de change p/r USD

Dans l’ensemble, les perspectives mondiales sont devenues de plus en plus fragiles et incertaines à mesure que les tensions concernant les politiques commerciales pèsent sur la confiance des entreprises et l’investissement. En conséquence, les banques centrales ont assoupli de manière préventive leur politique dans l’espoir d’être en mesure de prévenir une nouvelle détérioration, rassurant dans le même temps les investisseurs. Depuis, les marchés d’actions ont eu tendance à évoluer au rythme d’une danse à deux temps. Tantôt les tensions commerciales les faisant baisser, tantôt la politique monétaire les entraînant à la hausse. Cependant, les investisseurs pourraient déchanter si la musique jouée par les banques centrales n’était plus suffisamment audible pour étouffer le vacarme de la guerre commerciale. Dans cette chorégraphie, les rendements obligataires ont quant à eux poursuivi leur chute tandis que le dollar atteint un nouveau sommet, à mesure que les signes de faiblesse sur le marché du travail se révèlent.

 


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