Hormis une courte interruption lors de la crise SVB, le bilan de Fed tend à se réduire. Il a baissé de 700Md$ depuis son pic de juin 2022 et devrait maigrir encore de 1000Md$ d’ici un an. En 2023, le quantitative tightening n’a provoqué aucun stress, la liquidité bancaire restant abondante. Jusqu’à présent, l’attention des marchés portait sur la normalisation des taux directeurs, mais après une onzième hausse cette semaine, ce processus touche à sa fin. Le QT est un outil secondaire de resserrement, censé relever la prime de terme. Selon la Fed, il peut être déconnecté des décisions sur les taux courts, de quoi aboutir en 2024 à cette curiosité monétaire: des baisses de taux et un dégonflement du bilan.
Focus US par Bruno Cavalier, Chef Economiste et Fabien Bossy, Economiste
La Fed en a fini ou presque avec le resserrement de sa politique monétaire, du moins en ce qui concerne son outil principal d’intervention, les taux directeurs. Pendant ce temps elle continue d’alléger son portefeuille d’actifs (graphe). Depuis mi-2022, elle ne réinvestit qu’une petite partie des titres arrivant à échéance. A l’actif, le quantitative tightening (QT) réduit le montant des titres détenus de 95Md$ par mois et au passif cela réduit l’excès de liquidité des banques. En mars dernier toutefois, quand la chute de SVB a causé un début de panique, la Fed avait réinjecté de la liquidité en urgence, notamment via une nouvelle facilité (BTFP).
A leur pic, ces opérations étaient montées jusqu’à 400Md$; elles sont retombées à 250Md$. L’autre facteur ayant une répercussion sur la liquidité bancaire vient des opérations du Trésor. Le compte du Trésor à la Fed (TGA) a dû être presque vidé fin mai en attendant un accord sur le plafond de dette fédérale, et depuis, il est réalimenté par des émissions de titres (+500Md$ en six semaines). Cela n’a pas asséché la liquidité des banques car ces titres ont été achetés par des fonds monétaires qui ont simultanément réduit leur utilisation de la facilité de reverse repo (graphe).
Dans le précédent épisode de QT, les marchés avaient craint que la liquidité devienne insuffisante quand Jerome Powell avait dit, en décembre 2018, que le dégonflement du bilan était en pilotage automatique. Sa communication est aujourd’hui plus prudente. De plus, le portefeuille d’actifs est considérablement plus élevé qu’à l’époque (7.6tr vs 4.2). Au rythme actuel de baisse, il faudrait plus de deux ans pour retrouver un niveau jugé normal. Le risque de tension ne parait donc pas imminent. Une question délicate pour la Fed est de savoir si elle peut mener de front le QT et d’éventuelles baisses de taux. Jerome Powell ne l’a pas exclu hier, mais cela pose un problème de cohérence. Les conditions financières seraient-elles alors rendues plus souple ou plus stricte ? Le QT est en effet censé pousser les taux longs à la hausse. Sur la base des estimations du QE et en supposant que l’effet soit symétrique, réduire le portefeuille d’actifs d’un trillion pourrait causer une hausse de la prime de terme d’environ 50pdb. A ce jour, il est difficile d’observer cet effet.
Economie
En juillet, selon les données préliminaires des enquêtes PMI, le moral des directeurs d’achat a rebondi dans le secteur manufacturier (+2.7 pts à 49.0) mais baissé dans les services (-2 pts à 52.4). Cela réduit l’écart qui s’était creusé entre les deux secteurs au cours des derniers mois. Au total, le PMI-composite s’érode un peu mais reste en territoire d’expansion à 52pts. Il était inférieur au seuil des 50pts au S2 2022.
En juillet, pour le deuxième mois de suite, l’indice de confiance des consommateurs tiré de l’enquête du Conference Board a fortement progressé (+7 pts, après +8 pts), sortant par le haut de la zone où il était stabilisé depuis plus d’un an. L’amélioration concerne toutes les catégories d’âge ou de revenu. Les ménages restent positifs au sujet des conditions d’emploi courantes et revoient à la hausse leurs attentes à six mois. L’enquête concurrente de l’Université du Michigan – dont le niveau absolu est lui inférieur à la normale à cause du choc d’inflation – a aussi enregistré une embellie en juin et juillet. Le lien statistique entre la confiance des ménages et le rythme de leurs dépenses est assez faible, la consommation étant avant tout déterminée par le revenu disponible. Toutefois, ces résultats confortent l’idée d’une grande résilience des ménages face aux chocs des derniers mois (prix, taux).
Pour les ménages propriétaires, une satisfaction est que les prix des logements (et partant leur richesse nette) sont repartis à la hausse depuis février après seulement sept mois de correction. En juin, ils ont progressé de 1.5% m/m. Ils affichent un léger repli annuel, mais sans commune mesure avec la correction ayant suivi l’éclatement de la bulle immobilière à partir de 2006 (graphe de gauche). La différence entre ces deux épisodes tient à l’endettement des ménages. Cette fois-ci, les ménages ne font pas défaut en masse sur leurs emprunts hypothécaires. Depuis quelques mois, les ventes de maisons existantes sont à peu près stabilisées après une forte chute l’an dernier. La pression baissière sur les prix est logements est donc désormais limitée.
Selon l’estimation préliminaire du BEA, le PIB réel a augmenté de 2.4% t/t en rythme annualisé au T2 2023, après +2.0% au T1 (graphe de droite). La consommation des ménages a ralenti de 4.2% au T1 à 1.6% au T2, principalement dans la partie des biens durables. La correction de l’investissement résidentiel se poursuit pour le neuvième trimestre de suite, mais à un rythme ralenti. A l’opposé, l’investissement non résidentiel des entreprises bondit et apporte un point à la croissance du PIB réel.
Il y a actuellement de nombreux conflits sociaux en cours ou en préparation. Cette semaine, le puissant syndicat des camionneurs a conclu avec UPS avant la date limite du 31 juillet un accord semble-t-il assez généreux. Cela évite une grève qui aurait pu perturber la chaîne logistique. L’industrie du cinéma est sous le coup d’une double grève, celles des scénaristes depuis le 2 mai et celle des acteurs depuis le 13 juillet, ce qui ne s’était jamais produit depuis des décennies. Sans un accord, l’activité du secteur risque de chuter (arrêt des tournages et sorties de films). D’ici quelques mois, l’accord qui régit le secteur automobile arrive à son terme, faisant planer là encore la menace d’une grève. Chaque cas est particulier, mais il est clair que le choc d’inflation, même s’il s’atténue, a attisé les revendications des salariés.
Politique monétaire et budgétaire
Sans surprise compte tenu des déclarations des dernières semaines, le FOMC a décidé de relever ses taux directeurs le 26 juillet. Après la pause du mois dernier, c’est la onzième fois que la Fed durcit sa politique monétaire. La fourchette des taux est désormais fixée à 5.25-5.50%. Selon le président de la Fed, aucune décision n’est privilégiée pour la prochaine réunion du 20 septembre. La Fed pourrait laisser ses taux inchangés (notre scénario de base) ou les monter à nouveau. Les futures mettent la probabilité d’une hausse à seulement 20%.
Seule révélation de Jerome Powell dans la conférence de presse: le staff de la Fed a sorti le risque de récession technique de son scénario central, un ajustement que reflète aussi les révisions récentes des prévisions du consensus et du FMI.
On est à peine sorti des frictions entre Démocrates et Républicains au sujet du plafond de la dette fédérale que déjà se profile un autre sujet de désaccord, à savoir le vote par le Congrès de douze appropriations bills pour boucler le budget de l’année fiscale en octobre 2023. L’usage voudrait de les regrouper dans un seul texte mais certains élus républicains préféreraient avoir une discussion sur chacun d’entre eux. En cas de blocage, il y aura un governement shutdown.
A suivre au mois d’août
La publication du Focus-US sera suspendue pour les trois prochaines semaines. Dans cette période qui est normalement calme en ce qui concerne les annonces de politique économique, plusieurs statistiques sont néanmoins à surveiller.
Confiance des directeurs d’achat – Les indices ISM (1 er août pour le manufacturier, 3 août pour les services) montrent un écart croissant entre secteurs depuis le début de l’année. Le moral des industriels est repassé sous le seuil d’expansion, phénomène qu’on observe dans une large majorité d’autres pays du monde. Dans les services, la confiance résiste en zone d’expansion mais est inférieure à la normale.
Marché du travail – Outre les inscriptions hebdomadaires au chômage, le rapport mensuel du BLS sera publié le 4 août. Le rythme des créations d’emploi n’a pas cessé de ralentir depuis plusieurs trimestres mais demeure encore à ce jour au -dessus de la tendance prépandémie. Ce résultat peut être considéré comme un peu trompeur (trop optimiste) car dans le même temps la durée effective du travail a été fortement réduite. C’est le signe que le marché du travail est moins tendu qu’en 2022.
Inflation – Dans le prochain rapport sur le CPI de juillet (10 août), à la différence des deux précédents, l’effet de base sera défavorable. Le taux d’inflation annuel pourrait un peu remonter. Les détails sur les prix de services, notamment le logement, seront scrutés de près par la Fed.
Ménages –Corrigées de l’effet-prix, les ventes au détail ont pratiquement stagné sur les derniers mois. Le prochain rapport pour juillet sortira le 15 août.
Secteur immobilier – L’indice NAHB de confiance des promoteurs immobiliers (15 août) a enchaîné sept hausses à la file. Après une chute de 53 points en 2022, il a rebondi de 25pts en 2023, repassant au-dessus de sa moyenne de long terme. L’activité de construction a aussi passé son point bas mais reste nettement en retrait des niveaux exceptionnels de fin 2021-début 2022.
Les minutes de la réunion du FOMC de cette semaine seront publiées le 16 août. Le symposium annuel de Jackson Hole se tiendra du 24 au 26 août.
Sources : Thomson Reuters, Bloomberg, ODDO BHF Securities