Il y a deux mois, l’économie française a fait le grand plongeon. D’un coup ou presque, la production a été réduite de 35%, tout comme la consommation des ménages. La remontée vers la surface a débuté le 11 mai, mais, avant d’y parvenir, il va falloir passer par de nombreux paliers de décompression. C’est une opération incertaine qui dépend en partie de l’évolution future de la situation sanitaire (risque de deuxième vague). Le système productif et le revenu des agents vont rester sous pression (risque de faillites). On fait le point ici sur la situation économique, politique et sociale au début de cette nouvelle phase.

Focus France par Bruno Cavalier, Chef Economiste

 

France : indice de sévérité du confinement

Le 17 mars, l’état d’urgence sanitaire a imposé en France la fermeture des écoles, crèches, restaurants, musées, bibliothèques, lieux de culte, cinémas, plages, parcs et des commerces sauf ceux correspondant à des besoins essentiels ; les déplacements (sauf rares dérogations) et tout rassemblement de plus de 10 personnes ont été interdits, et l’offre de moyens de transports fortement réduite.

Selon l’indice synthétique calculé par l’université d’Oxford, le confinement a été très sévère en France, à 92 points sur une échelle pouvant monter jusqu’à 100. C’est du même ordre qu’en Italie ou en Espagne mais d’un degré bien supérieur à ce qu’on a constaté en Allemagne, dans les autres pays européens ou encore aux États-Unis (graphe).

France : pertes d’activité par grands secteurs

Par rapport à la situation initiale, la production a baissé de 35% en moyenne, et de près de 50% si l’on ne tient compte que des secteurs marchands. Il y a de fortes disparités entre secteurs. La mise en place de protections sanitaires a permis de rouvrir certains sites industriels et chantiers de construction, d’où une légère amélioration dans les secteurs concernés au cours des dernières semaines (graphe). Toutefois, la situation d’ensemble n’a que peu changé en deux mois.

Le 11 mai marque le début du plan de déconfinement1. Presque toutes les restrictions sont maintenues dans la plupart des domaines de la vie sociale. L’offre de transports est un peu accrue. La réouverture des écoles n’est que partielle, concentrée sur les crèches et l’enseignement élémentaire, mais en pratique, les contraintes pour organiser le retour des enfants à l’école sont telles que la reprise de l’enseignement sur site sera minimale (ce qui freine le retour à la normale pour l’activité de millions de parents d’élèves). Les restrictions de déplacement sont allégées.

L’économie française ne va donc pas rouvrir d’un coup. Le confinement et la sortie du confinement ne sont pas des chocs symétriques: l’un fut soudain, l’autre sera graduel. Les secteurs restant soumis à un confinement quasi total durant cette première phase (jusqu’au 1er juin inclus) représentent 5% du PIB. C’est le cas de l’hôtellerie-restauration et, par extension, de ce qui touche au tourisme. Pour les autres, même si le choc ne va pas s’effacer totalement, il est certain que l’allègement des restrictions va aboutir à un fort rebond du rythme d’activité et de dépenses, comme on a pu l’observer dans d’autres pays (Chine) ou dans d’autres circonstances (remise en route d’une économie après une catastrophe naturelle). Dans bien des cas, l’amplitude du rebond sera proportionnée à la chute qui a précédé.

France : nombre de demandes de chômage partiel

Ces deux derniers mois, les ménages ont considérablement accru leur épargne. Le taux d’épargne s’élevait à 15% du revenu disponible fin 2019, on peut estimer qu’il est deux fois plus élevé aujourd’hui, puisque certaines dépenses ont été rendues tout bonnement impossibles (certains loisirs, restauration) ou inutiles (dépenses en carburant). L’effet de report sur d’autres dépenses (alimentation) ou modes de distribution (e-commerce) n’a été que partiel.

Dans le même temps, même si le chômage partiel s’est envolé (graphe), le salaire net des personnes concernées a été protégé en large partie, dans une fourchette allant de 84% et 100% du total. Le choc peut toutefois modifier les comportements de dépenses au-delà de la seule durée du confinement. D’une part, certains des emplois préservés grâce au chômage partiel risquent de disparaitre plus tard.

France : anticipations de chômage

Sur le million d’entreprises, surtout de taille petite et moyenne, dont les effectifs sont concernés, il y aura des défaillances. Les craintes de chômage ont bondi en avril2 (graphe). Cela incite à conserver une épargne de précaution plus élevée que la normale. D’autre part, même si les habitudes de distanciation sociale et d’hygiène se maintiennent, nul ne peut exclure qu’il n’y aura pas de deuxième vague si forte qu’elle pousse les autorités à décréter un nouveau confinement. Là encore, cela maintient à un niveau structurellement plus élevé l’incertitude économique.

Outre ses implications dans le champ économique et social, la crise sanitaire a aussi des répercussions politiques. Il est largement admis que la communication du gouvernement dans cette période de crise a été imprécise, défaillante, voire carrément trompeuse. Rappelons que le gouvernement a organisé le premier tour des élections municipales le 15 mars, en affirmant qu’il n’y avait aucun risque à réunir des millions d’électeurs au même endroit, alors qu’il était prévu d’entamer le confinement complet de la population deux jours plus tard3. On se souvient aussi qu’au début de l’épidémie, pour échapper à la critique sur l’insuffisance manifeste du stock de masques, le même gouvernement défendait l’idée que son port généralisé dans l’espace public était inutile. La réticence à organiser des tests en masse procède peut-être aussi de la même impréparation.

En somme, pour l’opinion publique dont le penchant naturel est de faire des procès a posteriori, la réaction des autorités françaises peut apparaître comme ayant été trop complaisante au début (on a vu ça dans bien d’autres pays soit dit en passant) et ensuite trop radicale. Les plus récents sondages indiquent que la cote de confiance du président Macron est en recul après avoir connu un bref sursaut en avril. Il avait déjà été ébranlé par la crise des « gilets jaunes » (fin 2018-début 2019), puis par les grèves en opposition au projet de réformes des retraites (fin 2019).

Le moins qu’on puisse dire est que sa position politique ne sort pas grandie de la crise du coronavirus. La presse a par ailleurs rendu compte ces dernières semaines de tiraillements entre le président, son premier ministre et certains ministres. Que ces tensions soient réelles ou pas, leur évocation n’est pas le signe d’une grande stabilité politique. Au sein de la majorité LREM, il y a eu des défections dans le groupe parlementaire. La rumeur insistante est qu’une fois passé la crise sanitaire, un large remaniement ministériel aurait lieu.

La crise actuelle modifie aussi les priorités de l’action gouvernementale. La réforme des retraites est, cette fois, bel et bien enterrée – même si la question de la simplification du système actuel de retraite et son financement dans la durée ne sont toujours pas assurées. De manière générale, la fin du mandat de Macron jusqu’au printemps 2022 ne peut être désormais que consacré à effacer au plus vite les traces de la crise du coronavirus, non à lancer de grands projets de réforme.

 

Sources : Blavatnik School of Government, DARES, INSEE, Oddo BHF Securities


1. Ce plan sépare le territoire français en deux zones, « rouge » et « vert », selon que le risque épidémique est jugé élevé ou faible au vu de trois critères : la circulation active du virus, la capacité de réanimation hospitalière, le taux de couverture des besoins en tests. Tout le quart nord-est du pays (incluant Paris) est classé en zone rouge, ce qui implique le maintien de nombreuses restrictions, en particulier la fermeture des collèges et lycées.
2. Il est notable que les craintes de chômage, malgré ce bond en avril, restent encore bien inférieures à ce qui avait été observé dans la récession de 2009 et le double dip de 2012, ce qui peut être vu comme un signe d’efficacité du système de protection de l’emploi.
3. Le deuxième tour prévu le 22 mars n’a bien entendu pas encore pu avoir lieu. Le gouvernement doit décider de sa date la semaine prochaine.