Pour le spécialiste Pieter Busscher, les grandes tendances mondiales imposent plus que jamais d'investir différemment pour profiter des occasions que présentent les matériaux intelligents.

Pieter Busscher, CFA, Gérant de portefeuille senior, Stratégie RobecoSAM Smart Materials

  • Parmi les matériaux dits intelligents figure le lithium utilisé dans les batteries des véhicules électriques
  • Les autres secteurs de croissance sont l’automatisation, la robotique et les logiciels
  • De nouveaux marchés très importants se profilent, mais des préoccupations ESG demeurent dans certains pays

Les matériaux qui remplacent des ressources traditionnelles de plus en plus rares représentent l’avenir de la demande de matières premières, explique Pieter Busscher, gérant du fonds RobecoSAM Smart Materials.

«Nous nous exposons aux solutions de long terme contre la pénurie de ressources.»

Selon lui, les solutions ingénieuses développées pour certains produits comme les voitures électriques auront un impact considérable sur la demande de matières premières traditionnelles comme l’acier de qualité inférieure ou le pétrole, tout en ouvrant de nouveaux marchés de grande envergure pour les minéraux comme le lithium qui entrent dans la fabrication des batteries.

«Pour l’économiste britannique Dylan Grice, acheter des matières premières revient à se positionner contre le génie humain, et ce que nous tentons de faire ici, c’est de parier sur le génie humain avec les matériaux intelligents», a récemment déclaré Pieter Busscher lors d’un forum sur l’investissement durable.

«Si l’on examine les cycles économiques des ressources traditionnelles, on constate généralement une évolution en dents-de-scie assortie d’un potentiel de hausse limité, comme pour le pétrole qui devrait souffrir du mouvement massif en faveur des véhicules électriques que nous anticipons. Avec les matériaux intelligents, nous nous exposons aux solutions de long terme contre la pénurie de ressources. Nous nous concentrons sur les matériaux concurrentiels susceptibles de prendre des parts de marché aux matières premières traditionnelles.»

Quatre pôles principaux

Quelle est cette nouvelle génération de matériaux intelligents ? Pieter Busscher distingue quatre grands pôles : les matériaux de pointe, les matériaux suscitant une transformation radicale, les gains de productivité liés aux nouvelles technologies de processus et l’automatisation/la robotique.

La part des matériaux légers dans les voitures devrait passer de 29 à 67 % (Source: McKinsey, RobecoSAM)

Ces pôles recouvrent des techniques comme les lasers à fibre, l’intelligence artificielle et l’impression en 3D, ainsi que les logiciels nécessaires pour alimenter les nouvelles technologies et fabriquer de nouveaux produits. Le marché du laser à fibre, qui remplace la découpe et la soudure dans les applications industrielles, devrait quasiment doubler pour passer d’environ 3,5 milliards USD en 2012 à 6,5 milliards USD d’ici 2020. Ces lasers sont environ 20 fois plus efficaces que les lasers classiques et ne nécessitent aucune maintenance, ce qui permet de produire de nouveaux matériaux comme l’acier à haute résistance destiné aux voitures.

Les véhicules électriques, qui représenteront 10 % des 80 à 90 millions de véhicules neufs fabriqués en 2020, constituent peut-être le plus gros bouleversement dans la production industrielle moderne. La Chine est le premier marché mondial en termes d’offre comme de demande (notamment en raison de la nécessité pour le pays de lutter contre une pollution atmosphérique chronique), avec plus de 350 000 ventes enregistrées en 2016, soit plus du double qu’aux États-Unis. Et tandis que les célèbres marques occidentales comme Tesla font grand bruit, leurs niveaux de production sont éclipsés par les constructeurs chinois dont la production représente 43 % de l’ensemble des véhicules électriques fabriqués en 2017.

Ce phénomène a donné naissance à un tout nouveau marché pour les minéraux utilisés dans la fabrication des batteries de voitures électriques qui, dans le cas d’une Chevy Bolt ou d’une Opel Ampera E, contiennent 53 kg de lithium et 24 kg de cobalt. Pour optimiser son autonomie, un véhicule électrique doit également être beaucoup plus léger. La part des matériaux légers devrait donc passer de 29 à 67 % pour une voiture moyenne d’ici à 2030.

L’ambition électrique

«La demande en faveur des véhicules électriques ne peut qu’augmenter : en Europe, d’ambitieux objectifs de réduction des émissions de CO2 entreront en vigueur en 2021, tandis que la Chine s’est fixé un quota de 10 % de voitures électriques en circulation d’ici 2019», explique Pieter Busscher. «Certains pays comme le Royaume-Uni et la France ont annoncé leur intention d’interdire les moteurs thermiques. La Norvège est encore plus radicale en se fixant 2025 comme échéance. Les véhicules traditionnels pourraient prochainement être considérés comme des actifs bloqués.»

«Les véhicules électriques, pour lesquels les subventions diminuent face à la baisse des coûts de fabrication, devraient être compétitifs d’ici 2020-2021 et remporter des parts de marché à mesure que les prix baisseront. On peut comparer ce phénomène à la transition entre le cheval et la voiture au début du XXe siècle.»

Pays producteurs de lithium : des préoccupations ESG subsistent. (Source: Bloomberg)

La demande de lithium dans le transport progresse de plus de 30 % par an, ce qui signifie que ce secteur à croissance traditionnellement lente se retrouve aujourd’hui confronté à des enjeux de développement durable. L’offre supplémentaire provient désormais de sources jusque-là inexploitées en Amérique latine, tandis que la moitié de la production mondiale de cobalt provient de la République démocratique du Congo. Parmi les problèmes que cela suscite figurent les dommages environnementaux liés à l’exploitation minière et les déchets qu’elle produit, ainsi que des conditions de travail mauvaises, voire dangereuses.

«L’offre provient de nouvelles régions dont la réglementation minière n’est pas aussi bien établie que dans les pays de tradition minière, ce qui peut susciter des inquiétudes», explique Pieter Busscher. «Une grande partie de l’augmentation actuelle de la production provient du «triangle du lithium» situé entre la Bolivie, l’Argentine et le Chili, où nous sommes en contact avec les sociétés minières afin de vérifier que les normes sont respectées.»

Réinventer les marchés des matières premières

Pour Pieter Busscher, les nouveaux matériaux sont en train de réinventer progressivement la façon dont les matières premières sont valorisées sur les marchés, ce qui nécessite de réexaminer sans tarder les stratégies d’investissement. «L’approche traditionnelle consiste à investir directement dans les matières premières ou les actions des entreprises du secteur, en se basant sur l’hypothèse selon laquelle leur prix devrait augmenter compte tenu de l’offre limitée et de la demande accrue», précise-t-il.

«Or les prix des matières premières n’ont cessé de baisser, ce qui suggère que les ressources naturelles ne sont pas devenues plus rares au sens économique du terme. Cela s’explique par le fait que les forces du marché conjuguées au génie humain ont souvent abouti à des avancées technologiques majeures et au développement d’alternatives qui nous ont permis de croître malgré la rareté des ressources.»

«Il s’agit de tendances à long terme qui sont alimentées par la capacité unique de l’être humain à innover en permanence. Alors que nous épuisons nos réserves de ressources et que les problèmes environnementaux se multiplient, parier sur le génie humain est une démarche d’investissement prometteuse pour l’avenir du secteur des matières premières et au-delà.»