Les marchés financiers ont connu une année 2018 particulièrement compliquée, amplifiée par un mois de décembre quasi-historique marqué par un recul de près de 10% du marché américain, le pire depuis 1931.

Didier Bouvignies & Ludivine de Quincerot, Rothschild Asset Management

Peu de classes d’actifs terminent l’année en territoire positif, même si, in extremis, les marchés de taux européens auront fini par dégager du rendement au gré d’une nette baisse des taux en fin d’année. Par rapport à leur point haut de 2018, les marchés ont reculé d’environ 20%, tutoyant, dès lors, l’entrée en “Bear Market”. Ce recul des marchés d’actions a été accompagné d’une chute du prix des matières premières et d’un effet de contagion sur les actifs les plus risqués du monde obligataire, notamment sur le segment High Yield.

Comment expliquer un tel environnement et quelles anticipations peut-on faire pour cette nouvelle année?

Force est de constater que les marchés américains sont soumis à une forme de schizophrénie, provoquée par la crainte d’une augmentation trop rapide des taux de la Fed puis, par la suite, d’une récession prématurée. En effet, à l’automne, les investisseurs se sont inquiétés d’une activité économique excessivement florissante, portée par la dynamique de l’emploi et les hausses de salaires. Cette situation condamnait la Fed à poursuivre son mouvement de hausse des taux, amplifiant l’aplatissement de la courbe des taux et créant, par cette hausse, les conditions d’un risque sur l’activité, voire d’une erreur de politique monétaire conduisant à un affaissement de la valorisation des actions.

À ce moment, trois hausses de taux étaient anticipées pour 2019. En toute fin d’année, la dégradation d’un certain nombre d’indicateurs économiques en Chine, en Zone euro et aux États-Unis, notamment le moral des chefs d’entreprise, mais également le ralentissement marqué du secteur automobile, ont amené les investisseurs à reconsidérer le risque d’un ralentissement économique plus prononcé qu’attendu. De fait, les probabilités de récessions dans les modèles sont vivement remontées, notamment au regard de l’inversion de la courbe des taux d’intérêt, expliquant la deuxième phase de baisse du marché au cours du mois de décembre.

Dans le même temps, la maigre avancée des discussions au sujet d’un accord tarifaire entre les États-Unis et la Chine ont participé à renforcer le pessimisme. En Europe également, les indicateurs de confiance des industriels se sont tassés et les échéances politiques cumulées à la crise sociale en France ont largement contribué à cette tendance. Cependant, une fois n’est pas coutume, nous observerons qu’en décembre, les actions de la Zone euro ont surperformé le marché américain en s’inscrivant néanmoins dans une dynamique baissière.

Cette sous-performance du marché américain s’explique par la contre-performance du secteur de la technologie, mais également par le processus de révision à la baisse des attentes de résultats en 2019 plus marqué que dans les autres régions du monde. La technologie, principal vecteur de la hausse de début d’année aura entrainé l’ensemble du marché dans sa chute fin 2018.

Concernant la Zone euro, on notera le net recul de l’indice allemand (DAX) à -21%, hors dividendes, depuis le début de l’année, sous-performant nettement l’indice français (CAC 40) en baisse de 12% mais également l’indice italien (FTSE MIB), à -16%. La composition nettement plus industrielle et cyclique du DAX, comportant une forte proportion de valeurs issues du secteur de l’automobile, justifie cet écart et ce repli lié à la plus forte révision en baisse de la croissance des pays de la Zone euro, en raison de la forte décrue des immatriculations automobiles, conséquence (mais dans quelle proportion ?) de la mise en place de nouvelles normes antipollution au mois de juillet 2018.

Enfin, les marchés émergents ont d’abord connu une période défavorable sur la première partie de l’année avant de surperformer légèrement fin 2018, aidés par une amélioration du sentiment sur l’Amérique latine, tandis que l’Asie reste très pénalisée par la guerre commerciale et les incertitudes sur la Chine.

Dès lors, quelles projections peut-on faire pour 2019?

Les marchés vont nécessairement rester particulièrement influencés par trois sujets : l’évolution du cycle économique, notamment aux États-Unis, la situation en Chine ainsi que le contexte politique mondial, englobant tant les négociations sino-américaines, la résolution du “Brexit”, que la situation italienne.

La peur du ralentissement du cycle économique mondial, alimentée par la baisse du moral des chefs d’entreprise peut, selon nous, être relativisée. Déjà, cette décrue se réfère à un point de départ anormalement élevé, avec un indice PMI manufacturier au-delà de 60. Actuellement, ces indicateurs demeurent positifs, bien au-dessus de 50 et supérieurs à leur point bas de 2015 (48 pour l’indice PMI manufacturier en janvier 2016). On note, par ailleurs, un assez net “découplage” entre les indices industriels manufacturiers et les indicateurs des services, toujours sur un niveau d’expansion significatif. Dans le même temps, la dynamique de l’emploi aux États-Unis reste soutenue et les salaires progressent à un rythme générant suffisamment de gain pour maintenir la croissance nominale légèrement au-dessus des 4%.

Gardons à l’esprit que la situation de mi-2018 fut caractérisée par un tassement très net du pouvoir d’achat, lié à l’envolée des taux d’inflation, consécutive au renchérissement massif du prix du pétrole dans la première partie de l’année. Comme souvent aux États-Unis, les corrections de marché engendrées par un excès d’enthousiasme génèrent, en elles-même, les conditions d’un rebond lié à un apaisement des inquiétudes concernant l’envolée des taux, car on constate qu’il n’y a désormais plus de hausse des taux de la Fed anticipée par les marchés. Ceci, d’autant plus que, partout dans le monde, la chute du prix du baril a entraîné un regain de pouvoir d’achat conséquent. Cet environnement a, par ailleurs eu pour effet de stopper l’appréciation du dollar, soulageant par la même la situation des émergents.

En Europe, en plus de cette hausse de pouvoir d’achat liée à la baisse des cours du pétrole, on notera que les politiques budgétaires seront au final, volontairement ou pas, assez expansionnistes en 2019, permettant de justifier un niveau de croissance proche de son potentiel de 1,5%, d’autant que le taux d’épargne dans cette zone reste anormalement élevé. Au-delà du budget italien, en France, le gain de revenu additionnel octroyé par le Gouvernement suite à la crise des gilets jaunes, de l’ordre de 10 milliards d’euros, alimente le soutien budgétaire à la croissance européenne. Ajoutons que l’impact sur la production automobile de la mise en place des normes antipollution devrait s’atténuer au cours du premier semestre.

Enfin, en Chine, certains sujets continuent de préoccuper les marchés en raison d’indicateurs orientés négativement, notamment les indices de confiance des industriels. Cette méfiance porte d’ailleurs essentiellement sur le secteur manufacturier, alors que les indices des services restent bien orientés et que les autorités disposent de dispositifs monétaires (baisse du taux de réserves de change) et budgétaires (relance des investissements d’infrastructure) leur permettant de parer à tout ralentissement significatif. Notons également que le yuan ne fait pas l’objet d’une dépréciation vis-à-vis des devises avec lesquelles la Chine commerce majoritairement, un facteur rassurant.Toute avancée sur un accord concernant les politiques tarifaires aura évidemment un impact positif sur le sentiment à l’égard de l’activité économique chinoise.

Au niveau politique, les aspects sont relativement nombreux

Nous sommes actuellement convaincus que, comme souvent, aux États-Unis le “shutdown” aura peu d’impact macroéconomique, les parties prenantes finiront par trouver un accord. En Europe, la bonne nouvelle concernant l’accord budgétaire entre l’Italie et la Communauté européenne a été éclipsée par d’autres inquiétudes d’ordre plus macroéconomiques, même s’il a conduit à une baisse des spreads de la dette italienne. Le marché reste néanmoins lucide sur le fait que, si l’économie européenne venait à ralentir plus fortement, les objectifs du Gouvernement italien seront difficilement tenus.

Le “Brexit” constitue évidemment une source d’incertitudes, même s‘il paraît difficile d’envisager un “black-out” à défaut d’accord avant le 29 mars prochain, tant les conséquences seraient dramatiques pour les deux parties. Les positions extrêmement fermes de part et d’autre pourraient s’adoucir pour préserver l’essentiel. Si le maintien de Theresa May à la tête du Gouvernement britannique ne constitue pas un motif d’espoir, cela a toutefois le mérite d’éviter l’incertitude totale. Les élections européennes alimenteront beaucoup de commentaires, en dépit du fait que ce scrutin mobilise peu et historiquement surtout les électeurs des partis pro européens. Si les résultats auront pour principal effet d’envoyer un message politique, cette élection n’engendre que rarement des conséquences économiques directes. Quel que soit le dénouement, un impact économique majeur sur les résultats des entreprises semble peu probable. Notons, pour finir, que la correction des marchés a eu pour effet de remettre les indices sur des niveaux de valorisation très modérés, autour de 15 fois aux États-Unis et moins de 13 fois sur le Vieux Continent. Ces niveaux dépendent assurément du processus de révision des résultats des entreprises. En Europe, la baisse importante a ramené les indices sur le niveau de fin 2014, alors même que depuis cette période, les bénéfices ont progressé de 20%. Le rendement aux dividendes légèrement en dessous de 4% tandis que dans le même temps, l’aversion au risque a remis le taux des obligations allemandes à près de 15 points de base de leur niveau d’il y a deux ans, dans un contexte inflationniste complètement différent et très en dessous des 0,7% atteints en février 2018. Ceci malgré la sortie du Quantitative Easing engagée et la hausse des taux attendue au deuxième semestre 2019.

On peut faire un parallèle entre la situation actuelle et celle observée fin 2015, où après la forte baisse des marchés au deuxième semestre, en raison des inquiétudes sur la Chine, de la baisse du prix du baril à 26 dollars et du PMI manufacturier américain en dessous de 50 (alors que nous sommes actuellement encore à un indice de confiance de 54), les indicateurs s’étaient par la suite nettement améliorés. Et ce, en dépit des multiples, et non des moindres, échéances politiques (“Brexit”, élections américaines et italiennes…). Si ce parallèle se révèle valide, il offrirait alors des opportunités d’investissement attrayantes, notamment sur les actions européennes pour lesquelles l’inquiétude d’une hausse des taux pesant sur l’économie et la valorisation demeure beaucoup plus lointaine que pour les États-Unis.

Nous sommes conscients que dans cet environnement, globalement, les gestions n’ont été que peu en mesure de démontrer leur capacité à exploiter ces mouvements de marché. Pour autant, à défaut d’avoir pu anticiper cette baisse importante et rapide, ne reposant finalement que sur un nombre limité d’arguments économiques, il nous semble dangereux de ne pas se positionner afin de pouvoir profiter d’un retour à une certaine normalité dans l’évolution du cycle et des marchés.


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