En sortie de pandémie, certains secteurs de l’économie ne sont pas en mesure de faire face à la hausse de la demande. C’est le cas du transport routier aux Etats-Unis. Quels sont les gagnants et les perdants de cette pénurie d’offre?

Par Charles-Henry Monchau, CFA, CMT, CAIA – CIO de FlowBank

 

Charles-Henry MoncheauLa reprise économique a bel et bien lieu. Elle s’accompagne d’une hausse des prix atteignant des niveaux rarement observés depuis la grande crise financière de 2008. En effet, l’indice des prix à la consommation au mois d’avril a progressé de plus de 4.2% sur 12 mois glissants. Une partie de cette hausse peut s’expliquer par des effets de comparaison favorable, avril 2020 correspondant à la fermeture totale de l’économie. Mais les pressions inflationnistes proviennent également de l’incapacité de certains secteurs à répondre à la hausse de la demande. C’est le cas notamment du transport routier aux Etats-Unis.

Un manque de main d’œuvre qualifié, une faible capacité de camions disponibles et de multiples perturbations au niveau de la chaine d’approvisionnement limitent l’offre de fret disponible alors même que la demande de transport est en forte augmentation du fait de la réouverture de l’économie. Conséquence: une forte remontée des prix dans le secteur du fret routier (cf. graphique ci-dessous).

Les entreprises de transport routier sont-elles en mesure de répercuter l’augmentation des prix sur les consommateurs? Cette hausse des tarifs du fret fait-t-elle partie de l’inflation «transitoire» telle que décrite par la Réserve Fédérale américaine? A contrario, s’agit-il d’une hausse structurelle qui pourrait avoir des répercussions à plus long-terme sur l’inflation américaine?

PPi du secteur du fret routier
Indjce des prix dans le secteur du fret routier (source : FRED)

Des facteurs cycliques et structurels impactent le secteur du fret routier

Les principaux facteurs impactant le secteur du fret sont les suivants.

Au niveau de la demande, on observe tout d’abord un boom du commerce global engendré par la réouverture de l’économie. L’accélération des commandes de marchandises signifie qu’il faut davantage d’offre de transport pour satisfaire la demande. Mais l’offre ne suit pas.

En effet, il semblerait qu’environ 25% du parc disponible de camions est actuellement à l’arrêt tout simplement du fait d’un manque de chauffeurs qualifiés pour les faire rouler.

Avant la pandémie, l’économie américaine était déjà handicapée par une pénurie de chauffeurs routiers. Déjà en 2018, il était estimé que les Etats-Unis auraient besoin d’un million de nouveaux camionneurs au cours des quinze prochaines années. Ce déficit de main d’œuvre est dû notamment au vieillissement démographique, un «turnover» élevé et la bien moindre attractivité du secteur. En cette période de réouverture de l’économie, la crise s’aggrave, la pénurie de main d’œuvre atteignant son plus haut niveau depuis trois ans.

Cette pénurie de main d’œuvre a pour conséquence d’engendrer des délais dans les livraisons et exerce une pression à la hausse sur les prix.

A noter que même en cas d’ajustement de l’offre de main d’œuvre, une augmentation de la flotte de camions poserait également des problèmes. En effet, la pénurie de composants électroniques ralentit considérablement les chaines de production de nouveaux véhicules.
D’autres perturbations pèsent sur les chaînes d’approvisionnement: la congestion des ports et la pénurie de conteneurs rendent plus difficile le transport des marchandises.

Dans un scénario idéal, le choc de demande observé en cette sortie de pandémie devrait être accompagné par un ajustement de l’offre de camions et de main d’œuvre. Alors même qu’un certain ajustement de l’offre est envisageable à moyen-terme, certains facteurs – par exemple la pénurie de main d’œuvre – semblent être d’ordre structurels et pourraient donc exercer une inflation durable des prix du fret routier.

Le consommateur devra «payer la note»

L’incapacité du fret routier à répondre à la demande a des répercussions inflationnistes à plusieurs niveaux.

Premier exemple: la hausse du prix du carburant à la pompe. Cette hausse n’est pas due à une pénurie d’essence, mais aux délais de livraison dus à la pénurie de chauffeurs routiers. Conséquence: les stations-services augmentent leurs prix, ce qui constitue une bonne nouvelle pour des sociétés telles que Chevron, Exxon et Shell mais une mauvaise pour les consommateurs.

Autre exemple: la hausse des salaires des chauffeurs routiers. Alors que la pénurie de main d’œuvre continue de s’aggraver et que la demande de chauffeurs augmente, les salaires des routiers s’envolent. Cette hausse est répercutée sur les tarifs de fret.

Les sociétés de transport ne se contentent d’ailleurs pas de répercuter uniquement la hausse des salaires. Dans un contexte de forte demande et d’offre limitée, il est d’autant plus aisé pour les sociétés de fret d’augmenter leurs prix.

Cette situation est favorable aux professionnels du secteur mais l’est moins pour le consommateur qui doit absorber ces pressions inflationnistes. Il sera également intéressant d’étudier le comportement d’une société comme Amazon, qui a jusqu’à maintenant pris à sa charge les frais de livraison des membres «Prime».

Les titres de transport peuvent-ils en profiter?

Les principaux leaders de l’industrie semblent devoir bénéficier de cette situation.

JB Hunt Transport Services (JBHT) prévoit une croissance de son bénéfice par action de 37% en 2021 et de 14% en 2022. Le titre est en hausse de près de 30% depuis le début de l’année et se traite sur un généreux multiple prix/bénéfices (12 derniers mois) de plus de 33x.

Knight-Swift Transportation Holdings (KNX) bénéficient directement de la hausse du prix des transports de marchandises. Ils exploitent la plus grande flotte de camions remorques aux États-Unis et passent des contrats avec des fournisseurs d’équipements tiers. Il y a deux semaines, ils ont publié des bénéfices en hausse de 88% en glissement annuel. Le titre est en hausse de plus de 2% depuis le début de l’année.

Schneider National (SNDR) a revu à la hausse ses prévisions de bénéfice par action pour 2021 après avoir vu son résultat net augmenter de 30% en 2020.

La flotte d’US Xpress Enterprises (USX) comprends environ 6’900 camions remorques et environ 15’500 remorques, dont environ 2’000 camions fournis par des entrepreneurs indépendants. Le titre est en forte hausse depuis le début de l’année (+60%).

Werner Enterprises (WERN), l’une des plus grandes entreprises de transport et de logistique des États-Unis, a annoncé un bénéfice d’exploitation record pour le premier trimestre.

XPO Logistics (XPO), très impliqué dans les chaines d’approvisionnement, a publié un chiffre d’affaires trimestriel de 4,8 milliards de dollars, le plus élevé jamais enregistré par l’entreprise.

La forte surperformance du secteur démontre également le changement de «leadership» au sein du marché d’actions. Alors que les titres technologiques et d’autres secteurs de croissance avaient fortement surperformé les principaux indices ces dernières années, ce sont désormais les titres de sociétés dites «cycliques» capables de répercuter la hausse des prix sur les consommateurs qui bénéficient le plus de la reprise économique.

Toute la question est de savoir si ces hausses de prix sont «transitoires» (pour reprendre l’expression de la Réserve Fédérale) ou si cette inflation pourrait se pérenniser.

 

NB : Il n s’agit pas de recommandations d’investissement

 

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