Entre indépendance menacée, dette américaine et tensions internationales, le rôle de la Réserve fédérale face au Trésor est scruté par les investisseurs.
Mabrouk Chetouane, responsable de la stratégie marchés mondiaux chez Natixis Investment Managers, et David Rolley, gestionnaire de portefeuille et co-responsable de l’équipe Global Fixed Income chez Loomis, Sayles & Company, confrontent leurs points de vue sur la menace pesant sur l’indépendance de la Fed, les perspectives de croissance américaine et l’impact de la dette américaine sur le marché obligataire.
Mabrouk Chetouane (MC) : Les inquiétudes sur la situation fiscale américaine sont un thème récurrent pour les marchés en 2025. Comment les États-Unis peuvent-ils réduire leur déficit public?
David Rolley (DR) : Il y a plusieurs manières de procéder. La méthode traditionnelle consiste à augmenter les impôts et réduire les dépenses, puis atteindre un certain équilibre primaire. C’est ce que les Britanniques ont fait après avoir porté leur déficit à 200% du PIB pour financer les guerres napoléoniennes. Ils ont maintenu un excédent budgétaire sur 80 ans grâce à leur équilibre primaire, avec un étalon-or et des taux d’intérêt oscillant entre 3 et 4%, alors que la croissance réelle n’était que de 2%. Les Victoriens pratiquaient l’austérité fiscale à grande échelle. Nous, nous avons une approche différente: nous voulons «croître pour sortir du déficit».
Pour y parvenir, le taux de croissance doit dépasser le taux d’intérêt réel, c’est-à-dire que la croissance nominale doit être supérieure aux taux d’intérêt nominaux. On pourrait voir des mesures visant à stimuler la demande pour les Treasuries via un assouplissement des exigences de capital pour nos plus grandes banques. La Fed pourrait revoir ces exigences, comme l’a évoqué Michelle Bowman, vice-présidente chargée de la supervision.
Il y a aussi une volonté de l’administration actuelle de promouvoir significativement les stablecoins, un système de «banque restreinte» où les entités collectent des dépôts mais ne peuvent prêter et ne peuvent investir que dans des actifs sûrs et liquides, comme les bons du Trésor à court terme. L’idée est que cela stimule la demande pour ces titres.
MC : Pensez-vous que l’indépendance de la Fed est menacée?
DR : Pour l’instant, il s’agit surtout de mesures incitatives. Mais il y a aussi un risque de «bâton», ce qu’on appelle la dominance fiscale: lorsque les décisions de dépenses et de fiscalité du gouvernement déterminent la politique monétaire, contraignant la banque centrale à prioriser les objectifs de l’État plutôt que les siens.
Oui, il y a l’idée de voir une majorité du Conseil des gouverneurs nommée par la Maison-Blanche et favorable au Trésor. On cherche à maintenir les taux bas, indépendamment de l’inflation ou du chômage, avec une dimension de financement fiscal. Cela n’a pas été le fonctionnement habituel de la politique monétaire américaine depuis longtemps, sauf durant la Seconde Guerre mondiale et les cinq années suivantes, lorsque la Fed et le Trésor avaient convenu de maintenir la courbe des taux basse.
Un retour à la dominance fiscale augmenterait probablement les risques d’inflation à moyen terme. On pourrait voir des taux directeurs bas compensés par une courbe de rendement plus pentue, à moins de revenir à un assouplissement quantitatif explicite via des achats de titres longs par la Fed. Nous n’en sommes pas encore là, mais le marché y réfléchit.
MC : Quel est le risque le plus pertinent pour les investisseurs selon vous?
DR : Le risque lié à l’inflation et la prime exigée par les investisseurs pour se protéger contre celui-ci. Par exemple, les attentes d’inflation à cinq ans se maintiennent autour de 2,5%, sans signal de «grève des acheteurs» sur les Treasuries. Un signe d’alerte avait cependant été observé en début d’année lors des réactions aux initiatives tarifaires: les fed funds à terme ont baissé, tandis que les Treasuries à 10 et 30 ans ont augmenté, intégrant une prime de risque liée aux tarifs de 40 à 50 points de base.
Ces pics de prime de terme vont probablement devenir plus fréquents, même si cela surprend parfois le marché. La dominance fiscale des Treasuries commence à émerger comme un nouveau facteur, avec un potentiel durable.
MC : Certaines données montrent que des pays traditionnellement acheteurs de dette américaine réduisent leur exposition. Est-ce temporaire ou structurel?
DR : Il faut considérer le marché actions en plus des obligations. Beaucoup d’investisseurs institutionnels étrangers ont acheté des actions américaines, surtout dans la tech. L’expression «TINA» – There Is No Alternative – illustre bien cette situation : il faut détenir ces actions pour ne pas sous-performer. Historiquement, la part des actions américaines dans les portefeuilles mondiaux n’a cessé d’augmenter ces dix dernières années.
MC : Mais il se passe quelque chose de nouveau: les économies européennes pourraient ne plus financer le déficit américain. Quelles pourraient être les conséquences pour le marché obligataire?
DR : C’est fondamental. L’Europe devra financer davantage sa défense, avec moins de transferts et plus de dépenses structurelles, ce qui pourrait garder une partie du capital localement. Les États-Unis, eux, cherchent à stimuler la demande de dollars via les stablecoins, une forme de substitution monétaire.
MC : Qu’entendez-vous par substitution monétaire?
DR : Imaginez un pays où la monnaie locale n’est pas fiable. Pouvoir investir en dollars via son téléphone portable, recevoir de l’argent d’un cousin aux États-Unis instantanément, voilà le potentiel des stablecoins. Cela pourrait accroître la demande mondiale de dollars, même si des contrôles de capitaux numériques peuvent freiner l’adoption.
MC : Les tarifs douaniers peuvent-ils réduire le déficit américain?
DR : Les hausses actuelles ont des limites. Passer de 2% à 15% est efficace, mais au-delà de 15%, cela pourrait nuire à l’économie. Le focus devrait plutôt être sur les réductions de dépenses, par exemple via des règles plus strictes pour Medicaid après les élections de mi-mandat, avec un resserrement fiscal prévu pour 2027-2028.
La croissance américaine dépendra aussi de la productivité, car la population active stagne. L’intelligence artificielle pourrait aider, mais le socle reste étroit. D’autres moteurs de croissance, comme la recherche fondamentale, souffrent de coupes budgétaires, notamment dans la biotech et l’énergie. Les investisseurs devront diversifier et s’intéresser aux perspectives mondiales.
Achevé de rédiger en Août 2025
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