Le secrétaire à la Santé, Robert Kennedy Junior, est proche du mouvement antivaccins et a de longue date fait de la croisade contre le « Big Pharma » l’un de ses chevaux de bataille. Pourtant, certains professionnels du secteur voient aussi des opportunités dans la politique de santé de l’administration Trump 2.0.

Si la réélection de Donald Trump a globalement été bien accueillie par les milieux d’affaires, le choix de Robert Kennedy Junior, dit RFK, comme secrétaire à la Santé, en décembre 2024, a en revanche provoqué un coup de froid polaire sur les valeurs boursières des grandes sociétés pharmaceutiques à Wall Street.

L’action de BioNTech, l’entreprise allemande qui a codéveloppé le vaccin contre le Covid de Pfizer, a perdu 7% dans la journée ayant suivi l’annonce, et encore 5% le jour suivant. AstraZeneca et GSK ont perdu 3%, et Novo Nordisk 5%. Il faut dire que l’ancien démocrate rallié à Trump n’a jamais mâché ses mots contre le «Big Pharma». Outre ses positions antivaccins (il a par exemple repris une théorie discréditée selon laquelle les vaccins étaient liés aux troubles autistiques), il émet de vives critiques contre le secteur américain de la santé, qu’il accuse de chercher à vendre des médicaments aux Américains plutôt que de s’attaquer aux racines de leurs problèmes de santé, comme le manque d’exercice ou un mauvais régime alimentaire.

Les «Big Pharma» demeurent optimistes

Pour autant, l’industrie ne se laisse pas démonter. Certains affirment même que le mouvement MAHA, pour «Make America Healthy Again», qu’a lancé RFK (voir notre article à ce sujet), pourrait bien profiter aux entreprises du secteur. «Je suis d’avis que les opportunités sont supérieures aux risques» a ainsi déclaré Albert Bourla, le patron de Pfizer, lors d’une conférence consacrée à la santé qui s’est tenue aux États-Unis plus tôt dans l’année. «Nous avons eu des échanges très productifs avec la nouvelle administration, nous leur avons expliqué nos positions, et nous avons, je crois, été bien compris», a-t-il ajouté.

David Ricks, le patron d’Eli Lilly, a de son côté affirmé lors de la même conférence que «rendre la santé à l’Amérique, c’est ce que nous faisons tous les jours», avant de mettre en avant son médicament Zepbound, qui permet de lutter contre l’obésité et qu’il entend rendre plus accessible en travaillant avec la nouvelle administration. Daniel O’Day, patron de Gilead, a quant à lui déclaré dans une interview accordée à la chaîne de télévision CNBC que la volonté de la nouvelle administration de lutter contre les maladies chroniques pouvait profiter à son entreprise.

S’il serait tentant de voir des vœux pieux dans ces paroles, la politique de santé de l’administration Trump contient effectivement plusieurs éléments susceptibles de profiter à l’industrie pharmaceutique.

Une mise sur le marché accélérée pour les nouveaux médicaments

Tout d’abord, celle-ci souhaite alléger les régulations pour faciliter la mise sur le marché de nouveaux médicaments. Grace Graham, nommée en mars comme deputy commissioner for policy, legislation and international affairs de la Food and Drugs Administration (FDA), l’administration américaine chargée de la surveillance des denrées alimentaires et des médicaments, a dans un discours prononcé en mai souligné que son agence poursuivait actuellement cet objectif, notamment pour les médicaments ciblant les maladies rares, sur impulsion de la nouvelle administration.

Elle a ainsi affirmé que la FDA appliquerait la règle du «10 pour 1» dictée par l’administration Trump, qui requiert des agences fédérales qu’elles suppriment dix régulations pour toute nouvelle règle introduite. Pour les géants de l’industrie pharmaceutique, moins de paperasse et d’obstacles à la mise sur le marché est naturellement une bonne nouvelle. Elle a également évoqué l’usage de la technologie pour accélérer le développement de nouveaux traitements et de biomédicaments, afin de réduire les prix et favoriser l’accessibilité.

Des objets connectés plus facilement déployés

Un autre aspect sur lequel la nouvelle administration entend mettre l’accent est l’usage d’objets connectés, dans lesquels RFK voit un très bon moyen d’accomplir son cheval de bataille: permettre aux Américains de demeurer en meilleure santé en reprenant le contrôle sur celle-ci.

«Les appareils médicaux peuvent aider les Américains à mieux surveiller leurs besoins en matière de santé, de façon à éviter de tomber malades. Créer les conditions pour que davantage de ces produits soient disponibles sans ordonnance peut ainsi être un moyen de prévenir l’apparition de certaines maladies graves», a déclaré Grace Graham lors de son discours. Parmi les pistes évoquées: étendre l’accès au 510(k), un processus qui permet aux entreprises de réduire les tests et procédures nécessaires à la mise sur le marché de leur produit si elles parviennent à démontrer qu’il est aussi sûr et efficace qu’un autre déjà sur le marché.
Une mise sur le marché facilitée pour les appareils médicaux connectés serait là encore une excellente nouvelle pour une entreprise comme Pfizer, qui a par exemple investi dans des robots susceptibles d’aider les patients à prendre leurs médicaments ou à faire de la kinésithérapie; Bayer, dont l’accélérateur Grants4Apps soutient de nombreuses jeunes pousses proposant des objets connectés pour la santé; ou encore Sanofi, qui collabore avec BioCorp sur un dispositif qui se fixe sur les stylos à insuline et transmet les données d’injection à une application mobile.

 Les transhumanistes influents au sein de la nouvelle administration

L’administration Trump 2.0 est également proche des milieux techno-libertariens, qui ont un fort enthousiasme pour les technologies transhumanistes. En juin, Jim O’Neill a ainsi pris la tête des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies, qui forment la principale agence de protection de la santé publique. Cet ancien de la Thiel Foundation, le fonds d’investissement du milliardaire libertarien et transhumaniste Peter Thiel, un autre proche de Trump, qu’il a soutenu dès 2016, est un ardent promoteur des médicaments visant à lutter contre le vieillissement.

Pour accueillir sa nomination, RFK a affirmé qu’il allait «permettre d’utiliser l’IA de pointe, la télémédecine et autres technologies de rupture» afin «d’aider les Américains à reprendre leur santé en main».

La Silicon Valley investit actuellement à tour de bras dans les technologies visant à retarder, arrêter, voire inverser le vieillissement. Sam Altman, le patron d’OpenAI, a par exemple misé 180 millions de dollars sur la jeune pousse Retro Biosciences, qui développe un traitement susceptible de reprogrammer les cellules pour les rajeunir. Le fond de Peter Thiel investit dans NewLimit, une autre jeune pousse cherchant à régénérer les cellules, qui a pour sa part levé 200 millions de dollars auprès de plusieurs milliardaires de la Silicon Valley, dont Eric Schmidt, l’ancien patron de Google.

Cet écosystème en plein essor commence également à intéresser les grands noms de l’industrie pharmaceutique. En 2023, Sanofi a par exemple investi dans NodThera, qui mise sur la technologie pour éliminer les inflammations liées à l’âge. En 2024, elle a parié sur Ventyx, qui cherche à soigner les maladies auto-immunes et neurodégénératives via des traitements innovants. Pour ces entreprises, avoir un régulateur ouvert aux solutions les plus novatrices pourrait là encore impliquer des processus de mise sur le marché plus rapides et plus souples.

Droits de douane et médicaments

Enfin, difficile d’évoquer la politique de la nouvelle administration Trump sans parler des droits de douane. Dans ce domaine comme dans d’autres, l’objectif du président est clair: inciter les entreprises pharmaceutiques à relocaliser la production aux États-Unis pour échapper aux tarifs.

«D’ici un an, un an et demi maximum, ils vont atteindre 150%, puis 250%, parce que nous voulons que les médicaments soient fabriqués dans notre pays», affirmait Trump début août dans une interview, à propos des droits de douane sur les médicaments. Certains ont déjà pris leurs précautions : l’entreprise britannique AstraZeneca a ainsi affiché sa volonté d’investir 50 milliards de dollars aux États-Unis d’ici 2030 afin d’y accroître sa production et ses activités de recherche. Si les droits de douane de Trump constituent un défi conséquent pour l’industrie (52% de la production de médicaments enregistrée auprès de la FDA est actuellement située en-dehors du territoire américain), elle peut aussi constituer une opportunité pour les entreprises qui sauront tirer leur épingle du jeu en investissant aux États-Unis.