La SEC a finalement approuvé la mise en place d’ETF bitcoin, malgré les réserves de son patron, Gary Gensler. Est-ce le signe que les cryptomonnaies sont en train de gagner leurs titres de noblesse et de devenir des supports d’investissement comme les autres?

Les mordus des cryptomonnaies les attendaient de longue date, ils sont enfin là. En ce début d’année, l’U.S. Securities and Exchange Commission (SEC), le gendarme de la bourse américaine, a pour la première fois donné son feu vert à la mise en place d’ETF (Exchange Traded Funds) bitcoin, la plus célèbre et la plus populaire des cryptomonnaies.

BlackRock, Fidelity et plusieurs autres sociétés de gestion d’actifs ont immédiatement commencé à offrir des produits correspondants, suivies de plusieurs entreprises spécialisées dans les cryptoactifs, comme Cathie Wood’s et Bitwise.

Les investisseurs souhaitant acheter du bitcoin peuvent donc désormais passer par le secteur financier traditionnel, comme s’ils achetaient du S&P 500 ou des titres vifs, sans être contraints de passer par une plateforme d’achat et de vente de cryptomonnaies.

Une réponse à la pression des fonds de pension américains

Pour Alexis Boeglin, PDG de CrypCool, une plateforme française de vente et achat de cryptoactifs, le changement s’avère particulièrement significatif pour les particuliers américains. «Ils peuvent désormais directement et très facilement inclure du bitcoin dans leurs fonds de pension, c’est-à-dire dans leurs cotisations pour la retraite.» Mais aussi pour les acteurs institutionnels d’outre-Atlantique, «qui auparavant ne pouvaient pas acheter de cryptomonnaies, que ce soit pour des raisons réglementaires, car ils sont autorisés uniquement à acheter des titres régulés, ou opérationnelles, une institution financière ne pouvant pas simplement ouvrir un compte sur une plate-forme et acheter des cryptomonnaies. Il faut passer par un processus beaucoup plus normé, avec une chambre de compensation… Pour ces acteurs également, tout est donc désormais plus simple.»

Ce sont d’ailleurs selon lui ces acteurs institutionnels, dont BlackRock, qui poussent de longue date pour l’autorisation des ETF bitcoin, et qui ont fini par avoir gain de cause. Pour les acteurs européens, l’intérêt serait toutefois plus limité. «Il est d’abord plus complexe de s’exposer à ces ETF depuis l’Europe: il faut passer par des courtiers qui proposent un accès au marché américain et plus spécifiquement à ces ETF bien précis.

 En outre, le fonctionnement des marchés financiers peut poser des problèmes en matière de disponibilité des fonds. Un bitcoin acheté sur un courtier crypto peut être revendu à n’importe quel moment. Ici, il faudra respecter les horaires d’ouverture de la bourse de New York : si une mauvaise nouvelle à la FTX sort un lundi à 8h, les particuliers qui ont acheté leurs bitcoins directement sur une plateforme pourront les revendre tout de suite, mais ceux qui sont passés par les ETF devront attendre 15h30 pour l’ouverture de la bourse, en tenant compte du décalage horaire.» 

Vers une envolée du prix du bitcoin en 2024?

Mais le fait de toucher une nouvelle catégorie d’investisseurs américains devrait largement suffire à entraîner une hausse du prix du bitcoin. Galaxie Digital, une société spécialisée dans la gestion de cryptoactifs et la recherche sur la cryptoéconomie estimait ainsi dans un rapport paru en octobre dernier que l’autorisation des ETF bitcoin entraînerait un afflux d’investissement de 14 milliards de dollars dès la première année, ainsi qu’une hausse du prix du bitcoin de 74% sur la même période.

Certaines institutions extérieures à la cryptoéconomie ont fait écho à cet optimisme, comme la Deutsche Bank, qui prédit une hausse du prix du bitcoin cette année, notamment du fait d’un accroissement de l’investissement institutionnel dans les ETF bitcoin.

D’autant que l’entrée en scène de ces ETF se combine cette année à un événement qui a lieu tous les quatre ans environ: le halving de la blockchain Bitcoin, suite auquel l’émission de nouveaux bitcoins sera divisée par deux. Plus d’offre, moins de demande: le mécanisme est bien connu et devrait entraîner automatiquement une hausse des prix, sauf scandale ou catastrophe majeure.

Pour Hermine Wong, anciennement à la SEC et désormais conseillère juridique pour les start-up du web3 et des cryptoactifs, la grande question pour le monde des cryptos sera toutefois celle de savoir si ces ETF vont ou non conduire davantage de particuliers à ouvrir des portefeuilles sur des plateformes et à acheter directement des cryptoactifs.  Il s’agit d’un petit pas dans la bonne direction, mais il est encore trop tôt pour dire si cela suscitera une hausse de l’intérêt pour le marché des cryptos dans son ensemble au sein de la population. C’est de cela que l’industrie des cryptomonnaies a besoin pour prouver que ses produits peuvent être adoptés à grande échelle. Aux États-Unis, le dernier rapport de la Fed sur l’adoption des cryptomonnaies estime que 6% de la population en détient, c’est donc à l’heure actuelle encore un produit de niche.»

Un adoubement sous réserve

Si la SEC a fini par apporter son tampon aux ETF bitcoin, cela ne signifie pas pour autant que la méfiance de l’institution face au monde des cryptos soit totalement levée, bien au contraire. Le président de la SEC, Gary Gensler, farouche opposant aux cryptomonnaies, a ainsi déclaré dans un communiqué que la décision de son agence ne constituait nullement un adoubement de celles-ci. «Nous n’avons pas approuvé ou soutenu le bitcoin», a-t-il déclaré. «Les investisseurs doivent rester prudents face à la myriade de risques associés à celui-ci et aux produits dont la valeur est liée aux cryptos.»

Tous les grands noms de la gestion d’actifs n’ont du reste pas sauté sur l’occasion. Vanguard n’a ainsi pas prévu de mettre en place son propre ETF bitcoin, ni de rendre les produits associés au bitcoin disponibles sur sa plateforme de courtage. «Ces produits ne sont pas alignés sur ce qui, de longue date, constitue notre objectif, à savoir offrir des fondamentaux pour les portefeuilles d’investissement à long terme afin d’aider nos clients à atteindre leurs objectifs, qu’il s’agisse d’épargner pour la retraite ou pour les études de leurs enfants», a déclaré l’entreprise dans un communiqué. «Contrairement aux actions et aux obligations, ils manquent généralement de valeur économique intrinsèque et ne génèrent pas de flux de trésorerie tels que des dividendes et des paiements d’intérêts.»

Les républicains, meilleurs alliés des cryptos?

Maintenant que le bitcoin dispose de ses propres ETF, d’autres cryptomonnaies peuvent-elles espérer suivre le même chemin ? L’éther pourrait bien être le prochain sur la liste. Il s’agit de la monnaie de la blockchain Ethereum, qui, contrairement au bitcoin, peut être utilisée pour construire des applications décentralisées, autour de ce que l’on nomme le web3. Toutefois, du fait de sa structure entièrement décentralisée, le bitcoin est la seule cryptomonnaie à être considéré comme une «commodity» par le régulateur américain, tandis que les autres sont plutôt classées comme des «securities», un statut qui implique des régulations plus lourdes. L’autorisation des ETF bitcoin ne permet donc pas de garantir que celle des ETF éther suivra.

L’élection américaine qui doit avoir lieu cette année pourrait également avoir des conséquences dans le monde des cryptos. Joe Biden et Donald Trump sont certes tous deux sceptiques vis-à-vis de celui-ci, le second plus encore que le premier: il s’est récemment exprimé contre la création d’un dollar numérique, projet que Joe Biden a pour sa part mis à l’étude. Mais le parti républicain compte plusieurs personnalités influentes procryptos, dont la sénatrice du Wisconsin Cynthia Lummis, qui a récemment soumis un projet de loi très favorable à celles-ci, ou encore Tom Emmer, élu républicain du Minnesota. Une reprise des deux chambres du Congrès par le parti pourrait donc entraîner de nouvelles lois favorables à la cryptoéconomie. Affaire à suivre.