Les dépenses réelles de consommation se sont affermies au début de l’été aux Etats-Unis, donnant l’image d’une économie sur le point de réaccélérer. On aurait plutôt attendu que le resserrement du crédit pèse sur la demande des ménages. C’est d’ailleurs dans ce but que la Fed a fortement resserré sa politique monétaire. La résistance du consommateur ne semble pas soutenable en l’état. L’excès d’épargne accumulé durant le confinement sera épuisé d’ici le début 2024. A ce moment-là, la croissance des revenus qui a déjà freiné aura encore fléchi (moins de créations d’emploi, moins de bargaining power), de quoi raboter l’impact positif de la désinflation sur le pouvoir d’achat.
Focus US par Bruno Cavalier, Chef Economiste et Fabien Bossy, Economiste
Après quelques mois en demi-teinte au printemps dernier, les dépenses des ménages US se sont affermies en juin puis en juillet. En termes réels, c’est-à-dire hors effet-prix, la consommation privée est partie pour augmenter de près de 4% en rythme annualisé ce trimestre(1). Ce n’est pas ce qu’on attendrait d’une économie en bout de course et sur le point de tomber en récession. Toutefois, derrière cette vigueur apparente, il y a un certain nombre d’éléments qui invitent à la prudence – une prudence évoquée aussi par plusieurs chaînes de magasins lors de la présentation récente de leur résultats.
Le taux d’épargne est retombé à 3.5% en juillet, un niveau très bas, environ deux fois plus faible que la normale prépandémie (7.6%). Les ménages continuent de tirer sur leur « épargne Covid » mais la réserve est largement entamée et, selon nos estimations, elle serait épuisée début 2024 (graphe)(2).
La hausse des taux d’intérêt a fortement renchéri le crédit à la consommation. Il y a une amorce de remontée des défaillances sur cartes de crédit (graphe).
Les remboursements des prêts étudiants vont reprendre au 1er octobre et pressurer
davantage les finances des ménages.
Le prix de l’essence, une variable à laquelle les ménages sont sensibles, a rebondi.
Le coût du logement, souvent le poste le plus lourd dans le budget des ménages, s’est fortement accru. Les primo-accédants font face à des prix de maisons qui ont à peine baissé depuis leur pic de 2022. La vive tension sur les loyers s’est un peu calmée mais il n’y a pas eu de baisse ramenant à la situation prépandémie.
A l’opposé de ces facteurs négatifs, le marché du travail reste solide, assez pour délivrer des gains salariaux qui compensent à peu près l’inflation, du moins cette année. Toutefois, là encore, les signes d’affaiblissement de la demande de travail se multiplient. Les éléments d’un fléchissement de la consommation se mettent en place les uns après les autres.
Economie
Au T2, le PIB réel a augmenté de 2.1% t/t en rythme annualisé selon la deuxième estimation (initial: +2.4%). La révision vient de l’investissement et des inventaires. L’estimation de la croissance en termes de revenu (Gross Domestic Income, une alternative au PIB) repasse en positif à +0.5% après deux trimestres de recul. Selon les comptes nationaux, les profits avant impôts baissent depuis quatre trimestres (- 1.5% t/t annualisé au T2, -6.5% sur un an). Toutefois, ce résultat intègre une nouvelle fois les pertes de la Réserve fédérale qui s’envolent à mesure que les taux montent car la Fed doit rémunérer les réserves excédentaires des banques. Corrigés de cet effet, les profits macro sont à peu près stables sur un an.
En août, le moral des consommateurs mesuré par le Conference Board a rechuté après deux mois de hausse. Il est sur sa moyenne des deux dernières années. Cette correction traduit des conditions du marché du travail un peu moins favorables (emploi moins abondant et plus difficile à trouver).
Le rapport JOLTS de juillet abonde dans le même sens et décrit un marché du travail bien moins tendu que l’an dernier. Les ouvertures de postes accentuent leur recul pour s’établir à 8.8 millions, au plus bas depuis T1 2021. Le pic dépassait 12M en 2022. En 2019, la moyenne était 7.2M. Le rythme des embauches ralentit aussi. Le taux de démission rechute, surtout dans les secteurs qui avaient connu de fortes pénuries de personnel durant la pandémie (restauration, commerce, transports); il est presque revenu à son niveau de 2019.
Le climat social n’en reste pas moins assez difficile comme en témoigne la dureté des négociations salariales dans certains secteurs. Depuis le 2 mai, les scénaristes sont en grève, rejoints le 13 juillet par les acteurs. Les tournages pour le cinéma et la télévision sont à l’arrêt. Le 25 juillet, sous la menace d’une grève, le syndicat des camionneurs a conclu avec UPS un accord prévoyant de fortes hausses de salaires. Le 25 août, le syndicat de l’automobile s’est dit prêt à arrêter le travail chez les trois grands constructeurs à partir du 14 septembre si un contrat plus généreux n’est pas obtenu. Le BLS a des procédures précises pour tenir compte du nombre de grévistes dans ses statistiques(1). En août, il en comptabilisait seulement 21.400, mais une grève dans l’automobile pourrait concerner jusqu’à 150.000 personnes.
Depuis mars 2020, les souscripteurs de prêts étudiants (encours de 1569Md$ au T2) bénéficiaient d’une suspension de remboursement. Cette mesure avait été décidée au début de la pandémie, puis plusieurs fois étendue. Dans l’accord sur le relèvement du plafond de la dette en juin, il a été décidé que ces remboursements reprendraient au 1er octobre. Les personnes concernées ont reçu leurs échéanciers, non sans éprouver une certaine incompréhension car pendant la pause près de 40% de ces prêts ont été transférés à de nouveaux fournisseurs. Les services de recours sont débordés. La reprise des remboursements devrait peser pour 0.8% sur le revenu disponible, de quoi freiner les dépenses des ménages à partir du T4 2023 (voir Focus- US du 7 juillet: « Remboursement de prêt étudiant = choc sur la consommation« ). Ceci intervient dans un contexte où les contraintes de liquidité des ménages se renforcent. Dernièrement, plusieurs entreprises du commerce de détail ont signalé une hausse des défaillances sur leurs cartes de crédit.
En juin, les prix des maisons ont continué de se raffermir (+0.7% m/m pour l’indice S&P/Case-Shiller, +0.3% selon l’indice du FHFA. Dans les grandes villes, les prix ne sont plus que 1.2% sous leur pic de juin dernier.
Politique monétaire et budgétaire
Jerome Powell a répété à Jackson Hole le 25 août que la Fed avait maintenant le choix entre le statu quo et une hausse des taux. Après le resserrement déjà accompli, il a dit plusieurs fois qu’il fallait agir prudemment et en suivant une approche de risk- management (une référence à Alan Greenspan). Cela conforte la vue majoritaire que la Fed pourrait à nouveau passer son tour le 20 septembre, comme elle l’avait fait à la réunion du 14 juin. Loretta Mester (Cleveland), qu’on classe du côté des faucons, envisage une autre hausse de taux mais pas nécessairement en septembre.
A suivre cette semaine
Dans une semaine écourtée par Labor Day le 4 septembre, le calendrier macro est peu chargé. Les deux informations les plus importantes seront l’enquête ISM des services et le Livre Beige de la Fed (le 6).
(1) Le chiffre final peut bien entendu être plus bas selon les révisions et les données d’août et septembre.
(2) Voir aussi Focus-US du 26 mai: « US : combien reste-il d’épargne pour soutenir la consommation? »
Sources : Thomson Reuters, Bloomberg, ODDO BHF Securities