La semaine passée, les États-Unis ont vécu leur quinzième shutdown budgétaire depuis 1981, et pourtant les marchés s'envolent. Ni l'absence du rapport sur l'emploi (traditionnel point d'orgue du premier vendredi du mois) ni la paralysie partielle des administrations n'ont semblé entamer l'appétit des investisseurs. Les rendements obligataires, à peine affaiblis par une enquête ADP décevante, traduisent une confiance intacte dans la perspective d'une baisse prochaine des taux directeurs.
Le S&P 500, dopé par la promesse d’un assouplissement monétaire, a aligné de nouveaux records, dans une euphorie qui frôle l’aveuglement. L’or, désormais suracheté, témoigne d’une nervosité latente tandis que le dollar index se maintient au-dessus de 96,20, signalant un marché encore tiraillé entre espoir et prudence. Derrière le calme apparent, les déséquilibres s’accumulent : la concentration du S&P 500 atteint un sommet historique, portée par un nombre toujours plus restreint de mégacapitalisations technologiques. Une géométrie de marché inquiétante, où la hausse s’autoalimente sur la liquidité des géants plutôt que sur la vigueur du tissu économique. L’économie réelle, elle, attend la reprise d’un État paralysé pour reprendre sa respiration statistique. Mais pour l’heure, la bourse, hermétique à la réalité budgétaire, préfère encore le rêve à la mesure.
Le Vieux Continent a dansé au même rythme que Wall Street, porté par la santé et la finance. L’Euro Stoxx 50 a franchi un nouveau record, tandis que le FTSE 100 et l’AEX s’offraient des sommets inédits. Parmi les grands acteurs, Novartis s’est distingué avec l’approbation par la FDA de son traitement Rhapsido contre l’urticaire chronique spontanée, un succès stratégique qui renforce son leadership dans les thérapies ciblées. L’entreprise a parallèlement déposé des demandes d’homologation en Europe et en Asie, consolidant sa stature mondiale. Sur le plan industriel, Auto1 Group a accéléré sa montée en puissance avec trois nouveaux centres de production capables d’assembler près de 250 000 véhicules par an, symbole du rebond du marché de l’occasion digitalisé. Du côté des infrastructures financières, Euronext a frappé fort en lançant Euronext ETF Europe, un projet visant à unifier les chaînes post-négociation des ETF à travers le continent. Cette initiative, véritable révolution copernicienne, promet de réduire drastiquement les coûts et de fluidifier les transactions transfrontalières. Enfin, Ionos a connu une respiration boursière après un été flamboyant : le titre a cédé près de 20% depuis son pic, victime d’un regain de prudence face à la montée des coûts liés à l’intelligence artificielle. L’Europe, dans son ensemble, reste en terrain conquérant, mais sous la surface, la dispersion des trajectoires sectorielles rappelle que la reprise demeure fragile.
Le shutdown n’a pas ébranlé la locomotive américaine. Wall Street continue de tourner à plein régime, poussée par une poignée de titans qui captent l’essentiel des flux. Les Magnificent Seven représentent désormais plus de 30% du S&P 500, une concentration record rappelant la frénésie de la bulle des dotcom. Dans ce paysage hypertrophié, CACI International incarne une Amérique plus discrète mais stratégique : l’entreprise a décroché un contrat de 73 millions de dollars sur cinq ans pour moderniser le système de diffusion intégrée de l’US Air Force. L’accord renforce sa position dans la cybersécurité militaire et illustre la dépendance croissante du Pentagone aux technologies duales. Au-delà de cette success story, la fracture entre grandes et petites capitalisations s’élargit encore. Tandis que les valorisations du S&P atteignent des sommets, le Russell 2000 reste englué, reflet d’une économie à deux vitesses où les flux indiciels creusent le fossé de la liquidité. Le marché célèbre la promesse d’une baisse des taux fin octobre, mais derrière la musique, la mélodie devient dissonante : une hausse sans partage, propulsée par quelques géants et indifférente au reste du monde.
En Asie, l’heure est à la reconquête. Le géant chinois CATL a vu ses ambitions minières ravivées par l’approbation du rapport de réserve de sa mine de lithium Jianxiawo, un pas décisif vers une possible réouverture. Cette perspective a néanmoins provoqué un choc négatif sur le reste du secteur : les actions de Pilbara Minerals, Mineral Resources et Liontown Resources ont plongé, les investisseurs redoutant une nouvelle vague d’offre qui pèserait sur les prix du lithium. Parallèlement, la Bourse de Hong Kong vit une renaissance spectaculaire. Soutenue par Pékin, la simplification des procédures de double cotation attire une vague de géants de la cote A. Pas moins de 75 entreprises ont déposé leur dossier en septembre, un record depuis cinq ans. Parmi elles, des poids lourds des semi-conducteurs, de la biotechnologie et de l’intelligence industrielle. Deloitte prévoit plus de 80 IPO d’ici la fin de l’année, consolidant Hong Kong comme la principale place mondiale pour les levées de fonds offshore. Dans ce contexte, l’Asie illustre la vigueur d’un capitalisme d’État assumé, où les réformes administratives servent un dessein stratégique : renforcer l’autonomie financière face aux tensions géopolitiques. L’ombre du ralentissement mondial reste présente, mais le continent affiche une résilience que Wall Street ferait bien d’envier.
L’optimisme en suspens
Le shutdown américain, loin de plomber les marchés, a paradoxalement renforcé leur optimisme. L’absence de statistiques officielles laisse un vide que les investisseurs comblent par la foi en une baisse des taux le 29 octobre. Les discours des responsables de la Fed, attendus cette semaine, devraient être scrutés pour confirmer cette trajectoire accommodante.
Sur le front des entreprises, la saison des résultats s’annonce : les premières publications majeures commenceront la semaine suivante, avec les banques américaines en éclaireuses. En Europe, le calme avant la tempête prévaut, tandis qu’en Asie, les annonces d’IPO et les initiatives industrielles de fin d’année devraient maintenir la dynamique. L’agenda macroéconomique restera clairsemé, rythmé par quelques indicateurs secondaires et la poursuite du blocage budgétaire à Washington.
Les marchés, eux, n’ont pas l’air pressés de redescendre sur terre. L’euphorie semble installée, mais la dépendance croissante à une poignée de colosses et l’absence de relais de croissance tangibles annoncent un automne d’équilibriste. Le shutdown n’aura peut-être pas eu d’effet immédiat, mais il rappelle que derrière la façade de la prospérité boursière, la mécanique institutionnelle américaine tourne désormais à vide.