A la fois renouvelable, propre, efficace et non toxique, l’hydrogène a tous les attributs pour être la forme d’énergie durable parfaite mais semble avoir de la peine à décoller. Son développement pourrait très bientôt s’accélérer grâce au Japon. Voici leur plan.
Par Charles-Henry Monchau, CFA, CMT, CAIA – CIO de FlowBank
L’hydrogène, un marché en expansion
Selon les prévisions, la demande mondiale d’hydrogène devrait passer de 80 à 100 millions de tonnes par an entre 2021 et 2030. L’hydrogène vert – fabriqué à partir d’énergies renouvelables, qui ne représente aujourd’hui que 0,1% du marché mondial de l’hydrogène – devrait croître de 10 millions de tonnes par an au cours de la même période.
La croissance mondiale de l’hydrogène vert est principalement portée par des projets en Europe occidentale et en Asie du Pacifique, qui représentent à eux deux 82% du marché. L’Australie demeure toutefois en tête, avec 37 GW de projets d’électrolyseurs en attente. Le développement de l’hydrogène à l’échelle commerciale est stimulé par l’accélération de la demande d’énergie renouvelable à faible coût ainsi que par les nouveaux objectifs d’émissions adoptés par les pays et les entreprises.
L’Asie du Pacifique compte peut-être moins de projets que l’Europe, mais chaque projet est en moyenne trois fois plus conséquent: en effet, le projet d’hydrogène vert moyen en Europe a une capacité de 550 mégawatts, tandis que ceux d’Asie sont en moyenne de 1,4 GW, selon les analystes de Fitch Solutions. Cette situation est probablement liée à la forte croissance économique prévue sur le continent.
De nombreux points forts mais aussi des limites
Les avantages de l’hydrogène
Cette source d’énergie peut être utilisée à la fois dans des versions modifiées des centrales électriques existantes mais aussi avec des machines conçues pour fonctionner au gaz, au charbon et au pétrole. Il s’agit d’un argument financier de poids dans la mesure où il permet de réduire les besoins d’investissement initiaux de plusieurs milliards de dollars.
L’hydrogène peut être stocké et utilisé dans des piles à combustible, dispositifs qui ont la capacité de stocker davantage d’énergie que les batteries électriques traditionnelles. Cela fait de l’hydrogène une source d’énergie intéressante pour les avions, les navires et les camions qui doivent parcourir de longues distances.
Ses inconvénients
Le principal problème de l’hydrogène est qu’il ne se trouve pas dans la nature: il doit être extrait de l’eau ou des combustibles fossiles. Ce processus est relativement gourmand en énergie: en effet, la quantité d’énergie consommée pour produire de l’hydrogène pur est supérieure à celle produite lorsque ledit hydrogène est consommé.
D’autre part, l’hydrogène n’est pas le gaz le plus facile à transporter. À une température normale, c’est un gaz très léger qui prend beaucoup de place. Il doit donc être comprimé ou liquéfié afin d’être transporté efficacement. Mais pour devenir liquide, le gaz doit être refroidi à moins 253 degrés Celsius, soit seulement 20 degrés au-dessus du zéro absolu. C’est environ 180 degrés de moins que les vaccins Covid qui devaient être congelés; il s’agit donc d’un véritable défi logistique.
Enfin, l’extraction de l’hydrogène est un processus difficile et coûteux. Et l’extraction d’hydrogène vert – qui utilise des énergies renouvelables – est encore plus coûteuse.
L’adoption de l’énergie hydrogène dans une perspective mondiale
Selon l’Agence Internationale de l’Energie (AIE), l’utilisation de l’hydrogène sera incontournable si le monde veut atteindre son objectif de zéro émission en 2050. L’organisation estime que ces carburants représenteront 13% de la consommation énergétique mondiale et coûteront 470 milliards de dollars par an.
Les États-Unis sont un peu à la traîne. Certains états et entreprises investissent dans des projets liés à l’hydrogène, tels que des stations-service, mais il n’existe pas encore de plans à grande échelle.
L’Europe accueille pas moins de 55% de l’ensemble des projets hydrogène existants et a récemment exposé son plan de développement de l’hydrogène sur le continent. Ce plan est soutenu par de grandes entreprises telles que Royal Dutch Shell, BP et Airbus. Fitch Solutions voit une influence positive du Fonds européen de relance économique, qui veillera à encourager la collaboration et le partage des connaissances, à réduire les coûts et à garantir l’adéquation entre l’offre et la demande.
La Chine a commencé la construction d’un projet qui vise à tester la faisabilité d’une centrale éolienne-solaire-hydrogène de 500 mégawatts. Ce test s’inscrit dans le cadre d’un plan de 3,7 milliards de dollars pour le pays comprenant des canalisations de gaz naturel et de multiples installations industrielles.
Le facteur déterminant pour une meilleure adoption de l’hydrogène à l’échelle mondiale est son prix. En ce qui concerne l’hydrogène d’origine fossile, son prix actuel fluctue entre 1 et 2 dollars le kilogramme ; celui de l’hydrogène «vert» entre 3 et 6 dollars. Il faudra donc taxer de manière adéquate les émissions carbones pour que l’hydrogène puisse être adopté. En effet, si la taxe carbone est trop élevée, elle nuira aux résultats des entreprises, mais elle est trop bon marché, la transition risque d’être beaucoup trop lente.
Le Japon pourrait changer la donne
Le pays du soleil levant est devenu la troisième puissance industrielle du monde en couvrant ses besoins énergétiques via l’importation de pétrole, gaz et charbon. Le Japon envisage désormais de passer à l’hydrogène, une source d’énergie longtemps écartée en raison de son coût élevé et de sa complexité.
En effet, les autorités ont pris conscience qu’il sera bien compliqué d’atteindre un objectif de zéro émission d’ici 30 ans en ne recourant qu’aux énergies solaire et éolienne. L’hydrogène est une alternative intéressante car elle pourrait remplacer les combustibles fossiles dans les infrastructures existantes, en émettant de la vapeur d’eau au lieu de carbone lors de sa combustion. Le Japon s’est fixé un nouvel objectif: faire en sorte que l’hydrogène et les carburants connexes couvrent 10% des besoins énergétiques du pays d’ici à 2050 – ce qui est conforme, voire inférieur, aux 13% estimés par l’AIE dans une perspective mondiale. Avec les mesures incitatives (pour l’hydrogène) et dissuasives (contre le carbone) appropriées, le Japon espère que l’hydrogène montera progressivement en puissance dans la vie quotidienne du pays.
Un autre argument en faveur de l’adoption de l’hydrogène au Japon est qu’il aiderait grandement à réduire sa dépendance énergétique vis-à-vis de la Chine, qui est en train de devenir un important fournisseur d’énergie renouvelable, produisant notamment 80% des panneaux solaires de la planète.
D’après certains observateurs, une percée de l’hydrogène au Japon pourrait accélérer son adoption dans le reste du monde. L’enjeu est donc de taille.
L’arme secrète du Japon: l’ammoniac
L’ammoniac, également connu sous le nom de NH3, est un gaz incolore composé d’hydrogène et d’azote. Ses molécules peuvent être séparées par un catalyseur pour produire de l’hydrogène, ainsi que de l’azote, qui est un gaz non toxique et sans effet de serre. Il présente un avantage considérable par rapport à l’hydrogène classique: bien que plus cher à produire, il est beaucoup plus facile à stocker, grâce à sa densité énergétique volumétrique élevée. Etant utilisé dans le monde entier pour les engrais, il est déjà produit en grande quantité et pourrait constituer une excellente solution à court et moyen terme pour l’adoption de l’hydrogène en attendant que les infrastructures arrivent à maturité, qu’il s’agisse de stockage ou de transport.
Le plan zéro émission de carbone établie par le ministère japonais de l’économie, du commerce et de l’industrie prévoit l’importation de millions de tonnes d’ammoniac.
De nombreux acteurs critiquent ce plan, Greenpeace le qualifiant de «greenwashing coûteux» car impliquant des émissions de gaz à effet de serre dans son processus. A noter que Volkswagen et Tesla ne sont pas non plus des fans des voitures à piles à hydrogène. Nombreux sont ceux qui affirment que cette solution n’en vaut tout simplement pas la peine, car la production d’électricité à partir d’hydrogène pur coûtera environ huit fois plus chère que celle provenant du gaz naturel ou d’énergie solaire.
Aussi imparfait que soit le plan, le Japon n’a que peu d’alternatives pour devenir indépendant énergétiquement. Sa population a une aversion pour l’énergie nucléaire depuis la catastrophe de Fukushima, importe 90% de l’énergie qu’elle consomme et n’a que peu de place pour des panneaux solaires.
Le principal obstacle est celui des économies d’échelle. Tant que la demande n’est pas suffisante, tout investissement dans cette technologie s’avérera financièrement non viable. C’est là que les entreprises japonaises apportent leur soutien.
Quelles sont les entreprises impliquées dans le projet?
Le gouvernement est soutenu par de nombreuses sociétés locales. Aujourd’hui, des entreprises comme JERA et IHI mènent l’effort de «guerre écologique». JERA a calculé que la transition énergétique au Japon de l’électricité aux seules énergies renouvelables demanderait des investissements d’infrastructure beaucoup trop importants. Toutefois, le réseau existant pourrait répondre à la moitié de la demande du pays, l’autre moitié étant comblée par la solution de l’ammoniac.
IHI a également constaté que pour créer de l’hydrogène à partir d’un mélange d’ammoniac et de gaz, il suffisait de changer le brûleur, ce qui ne représente qu’une petite partie de l’infrastructure. Les deux entreprises sont parrainées par le gouvernement pour brûler un mélange composé à 20% d’ammoniac et à 80% d’hydrogène. En cas de succès, il est prévu d’augmenter progressivement la quantité d’ammoniac dans le mélange. Et si tout se passe comme prévu, le Japon pourrait consommer 30 millions de tonnes d’ammoniac et 20 millions de tonnes d’hydrogène par an d’ici 2050. Il convient de noter qu’à l’heure actuelle, seules 20 millions de tonnes d’ammoniac sont commercialisées dans le monde.
Le défi de l’approvisionnement en ammoniac sera laissé aux entreprises qui importent aujourd’hui du carburant dans le pays, comme Mitsubishi et Mitsui & Co. Ces deux sociétés mènent les pourparlers nécessaires à l’établissement du plan, signent de nouveaux contrats d’importation ou cherchent à acheter des usines de production.
Des compagnies maritimes japonaises comme Nippon Yusen Kabushiki Kaisha conçoivent des bateaux fonctionnant avec ce type de carburant: le premier transporteur d’hydrogène liquéfié au monde (115 mètres de long !) attend actuellement dans le port de Kobe pour une croisière d’essai vers l’Australie.
D’autres entreprises investissent dans la «démocratisation» de l’hydrogène. C’est le cas par exemple de Toyota Motor Corp. qui s’efforce d’accroître le nombre de véhicules fonctionnant à l’hydrogène.
Des entreprises de services publics comme Kawasaki Heavy Industries développent la technologie nécessaire à la manipulation de l’hydrogène liquéfié, notamment des réservoirs et des pipelines. Elles ont également construit un réservoir de stockage, qui pourrait devenir le premier terminal de chargement d’hydrogène liquéfié du Japon.
Le prix sera l’un des principaux défis à relever, car la production d’électricité avec un mélange à 20% d’ammoniac coûtera environ 24% de plus que la simple combustion de charbon. Mais les dirigeants sont convaincus qu’ils peuvent y parvenir grâce à des incitations financières et le soutien du gouvernement.
Que le plan fonctionne ou non, les choses changent, et les pays cherchent des solutions adaptées à leurs capacités. Le plan du Japon sur l’hydrogène et l’ammoniac sera-t-il payant? L’avenir nous le dira.
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Sources:
How Japan’s Big Bet on Hydrogen Could Revolutionize the Energy Market, Wall Street Journal
La part de l’hydrogène vert sur le marché mondial de l’hydrogène pourrait atteindre 10 % d’ici à 2030, selon Fitch Solutions, Upstream.
L’ammoniac, un carburant renouvelable fabriqué à partir du soleil, de l’air et de l’eau, pourrait alimenter la planète sans carbone, Science Magazine
Ambitieux mais controversé : Le nouveau projet d’hydrogène du Japon, Japan Times