Les œuvres de science-fiction en témoignent : la perspective de concevoir des robots à notre image nous fascine et nous intrigue. Mais depuis quelques années, les robots anthropomorphiques ne sont plus qu’un simple rêve de scientifique. Ils sont devenus suffisamment pratiques et bon marché pour trouver des usages dans l’économie. La prochaine révolution industrielle pourrait bien être celle de la robotique anthropomorphique.

Longtemps, les robots anthropomorphiques ont été de simples curiosités sans applications pratiques. Mais ça, c’était avant. «Nous avons progressé à pas de géants au cours des dix dernières années. Il est devenu possible de déployer des robots humanoïdes autonomes dans des environnements non structurés, comme un entrepôt, la rue ou une zone militaire. C’était impensable il y a encore quelques années, où un bon robot devait être cantonné dans un lieu, à une tâche précise», raconte Lionel Robert, professeur de robotique à l’Université du Michigan.

Des avancées rendues possibles par un certain nombre de progrès technologiques, en particulier ceux de l’intelligence artificielle. Ils ont eux-mêmes permis de développer la vision par ordinateur et donc de concevoir des machines mieux à même d’évoluer dans un environnement complexe, et d’effectuer des tâches comme monter un escalier ou attraper des objets.

Les progrès de l’apprentissage supervisé et non supervisé ont également servi le développement d’une branche spécifique de la robotique, dite «développementale», qui consiste précisément à concevoir des robots humanoïdes capables d’apprendre par eux-mêmes. Plus récemment, les progrès de l’IA générative sont également venus renforcer cette discipline. «Les progrès ont été fulgurants avec les grands modèles de langage», affirme Olivier Sigaud (ISIR), chercheur sur le futur de la robotique développementale. «Nous avons réalisé des avancées importantes quant à la façon d’interagir avec les robots via le langage, je pense aujourd’hui que ces problèmes vont être largement résolus dans les années à venir alors qu’il y a cinq ans cela paraissait encore très lointain.»

Enfin, le développement de la voiture électrique a permis la conception de batteries plus denses et efficaces, ce qui permet des robots humanoïdes dotés d’une meilleure autonomie, mais aussi de la capacité de marcher plus rapidement, d’améliorer leur sens de l’équilibre et de retrouver leurs appuis lorsqu’ils glissent ou trébuchent, comme le font les humains.

Tout cela a donc permis la création de robots aux performances étonnantes, comme Atlas, humanoïde conçu par la société américaine Boston Dynamics, devenu une sensation sur la toile à travers des vidéos qui le montrent sautant, courant et même accomplissant des saltos arrière. De grandes sociétés commencent également à s’y mettre. En septembre, Elon Musk a pour sa part dévoilé Optimus, un robot humanoïde conçu avec des pièces détachées de Tesla, que le milliardaire entend commercialiser à grande échelle à un prix inférieur à 20 000 dollars. Amazon a de son côté récemment eu recours au robot Digit, capable de marcher sur deux jambes et d’attraper des objets, pour faire face au manque de main-d’œuvre dans ses entrepôts. Au total, les commandes de robots en Amérique du Nord ont grimpé de 42% depuis début 2020.

Les avantages de l’anthropomorphie

Si les robots humanoïdes nous fascinent, leur utilité a longtemps été mise en question : pourquoi s’ennuyer à fabriquer des robots humanoïdes tandis qu’un bras robotique géant ou un robot roulant remplissent parfaitement leur mission? Les robots anthropomorphiques ont pourtant des avantages bien réels, en particulier lorsqu’il s’agit de faire collaborer homme et machine, selon Lionel Robert. «De nombreuses études montrent que les humains se sentent davantage en confiance, moins stressés et plus à l’aise en présence d’un robot humanoïde que d’une simple machine.»

Les robots dotés d’un visage et d’un corps humanoïde peuvent plus facilement interagir avec les humains, et la collaboration s’en trouve facilitée: ils peuvent recourir à des expressions faciales ou à des gestes pour indiquer leurs intentions, là où les robots traditionnels doivent se contenter de la voix, voire d’un simple signal sonore ou lumineux. L’entreprise Agility, qui se trouve derrière le robot Digit déployé dans les entrepôts d’Amazon, a ainsi récemment annoncé que son robot serait bientôt doté d’un visage humain basique pour témoigner de ses intentions, braquant par exemple ses yeux dans une direction pour indiquer aux humains où il se dirige.

Les robots humanoïdes ont également pour avantage de pouvoir évoluer dans le même environnement que les humains : capables de monter des escaliers, d’évoluer sur un sol inégal, de se glisser dans des espaces étroits, de s’agenouiller et de lever les bras pour attraper des objets en hauteur, contrairement aux robots sur roues ou chenilles, ils peuvent donc être ajoutés à un espace de travail existant sans nécessiter de lourds travaux pour permettre leur introduction. «Amazon peut ainsi intégrer très facilement des robots anthropomorphiques dans ses entrepôts», note Lionel Robert.

Là où brilleront les robots humanoïdes

L’initiative d’Amazon en témoigne: l’un des premiers secteurs où les robots anthropomorphiques vont pouvoir exprimer leur plein potentiel est celui des entrepôts et de la logistique. Agility, Figure AI et Boston Dynamiques conçoivent toutes des robots humanoïdes taillés pour déplacer des objets et assister les travailleurs humains dans ce type d’environnement. Ces robots pourront notamment venir soulager les entrepôts qui ne parviennent pas à embaucher suffisamment de travailleurs, où ils pourront porter des charges lourdes et effectuer des gestes répétitifs, deux activités qui génèrent des risques de blessures pour les humains. Selon une étude conduite l’an dernier aux États-Unis, 73% des entrepôts ne parvenaient pas à satisfaire leurs besoins en main-d’œuvre.

De manière plus prospective, les robots humanoïdes pourraient demain s’intégrer à un système de livraison entièrement automatisé, avec des véhicules autonomes et un robot humanoïde à bord chargé de débarquer le colis et de le déposer sur le pas de la porte.

Mais le domaine le plus intéressant pour les robots humanoïdes est celui de la santé et de l’aide à domicile, selon Lionel Robert. «De nombreux pays font face à un vieillissement de leur population, et risquent bientôt de se retrouver avec des actifs trop peu nombreux pour répondre aux besoins des personnes âgées. Un robot humanoïde peut constituer une excellente aide à domicile, chargée de veiller en permanence sur la personne, de vérifier qu’elle prend bien ses médicaments, l’aider à se mouvoir, faire de l’exercice, jouer à des jeux… Pour des personnes isolées qui ne reçoivent la visite d’une aide à domicile qu’une ou deux fois par semaine, cela peut être un moyen de rester autonome plus longtemps, et donc de rester chez soi jusqu’à un âge plus avancé», affirme Lionel Robert.

Or, des études montrent non seulement que les seniors souhaitent rester chez eux le plus longtemps possible plutôt que d’être placés en établissement spécialisé, mais aussi que ceux qui y parviennent vivent plus longtemps et en meilleure santé. Loin des scenarii à la Terminator, les robots humanoïdes pourraient donc bien devenir les meilleurs amis de l’homme.