Incendies en Gironde et tempête meurtrière en Corse… les événements qui ont touché la France cet été sont bien l’illustration d’un changement climatique à l'œuvre. Ils sont venus rappeler les inquiétants résultats du stress test climatique réalisé par la BCE sur plus d’une centaine de banques. Le monde brûle et la finance verte semble continuer à regarder ailleurs. Explications avec Emmanuelle Haack, responsable ESG et conformité d’Alken AM.

Les résultats de ce stress test climatique ne sont-ils pas très inquiétants selon vous?

Emmanuelle MaackDe prime abord, c’est ce qu’une personne non avertie pourrait en effet penser. Mais il faut bien comprendre que ce test, qui fait partie de la feuille de route climatique plus large de la BCE, était un exercice d’apprentissage pour les banques et les superviseurs afin d’évaluer l’état de préparation du secteur à la gestion du risque climatique. Il visait également à identifier les meilleures pratiques pour gérer efficacement ce risque. Le premier constat que l’on peut faire sur les résultats de ce test est que la BCE souligne les progrès réalisés par les banques depuis 2020.

Selon la BCE, l’impréparation des banques se chiffre tout de même à 70 milliards d’euros de pertes potentielles. C’est loin d’être anecdotique, non?

Vous avez raison et vous oubliez même de préciser que cette estimation serait, toujours selon la BCE, largement sous-estimée en raison de la rareté des données disponibles et de la non-prise en cause de chocs sur les prix de l’énergie.

Pourtant, au-delà de ce chiffre de 70 milliards d’euros, ce stress test climatique révèle surtout que toutes les banques ne sont pas placées sur un pied d’égalité face à la possibilité de pertes en cas d’événements climatiques extrêmes.

Comment cela?

Les résultats publiés par la BCE lors de son test de résistance soulignent la vulnérabilité des banques à un scénario de sécheresse et de chaleur largement aggravée en fonction de leur exposition sectorielle et de leur localisation géographique. De ce point de vue, financer une activité très polluante installée dans une zone en proie à de fortes chaleurs va se révéler rapidement beaucoup plus risqué que d’accompagner une entreprise moins exposée à des émissions de gaz à effet de serre et située dans une zone au climat encore tempéré.

Faut-il donc par exemple exclure le secteur de l’énergie de nos portefeuilles ESG?

Si certains secteurs sont plus exposés que d’autres au risque climatique, il ne faut néanmoins pas oublier que tous les secteurs sont aujourd’hui interdépendants et que seule une prise en compte générale peut aboutir à une transition efficace.

Il ne s’agit donc pas d’ignorer l’un ou l’autre secteur (pour le laisser à d’autres investisseurs moins sensibles à la prise en compte des éléments ESG), mais bien de travailler à une solution globale. Chaque secteur a la responsabilité de trouver de nouvelles sources énergétiques pour sa production et tout ne doit pas uniquement reposer sur le secteur de l’énergie qui ne fait que répondre à notre demande globale croissante.

Lire ce rapport de la BCE ne vous fait-il pas douter de la validité de la démarche ESG?

Ce rapport a pour mérite de rappeler certaines évidences. Tout d’abord, que malgré l’énorme vague de popularité de l’ESG au cours de ces dernières années, les investissements ESG d’aujourd’hui ne résolvent pas et ne résoudront pas le goulot d’étranglement que constitue l’urgence du changement climatique. Ensuite, que si des milliers de milliards sont investis dans les soi-disant « stratégies ESG », la plupart d’entre elles restent principalement axées sur le rendement pour les actionnaires, plutôt que sur la pose des pierres d’une planète plus verte et plus durable. Ensuite, que les stratégies actuelles ne tiennent pas compte de la double matérialité des entreprises: il ne s’agit pas seulement d’évaluer l’impact du changement climatique sur les bénéfices des entreprises, mais aussi de prendre en compte les impacts réels des entreprises sur la planète et de rechercher ainsi des alternatives à ces impacts négatifs.

Selon vous, comment faire pour que les choses changent dans le bon sens?

Les banques comme les autres secteurs d’activité ont plus que jamais besoin de davantage de réglementation et de conseils de la part d’entités supranationales. Seules ces dernières sont capables d’entraîner la communauté des investisseurs dans la bonne direction même si cela a un coût élevé pour eux. Grâce à elles, il serait possible de donner la priorité à l’investissement dans la transition énergétique plutôt que de suivre uniquement les tendances du marché.