Robert Francis Kennedy Jr., ou «RFK», le secrétaire à la Santé de l’administration Trump, a rassemblé autour de lui un vaste mouvement qui fustige les habitudes alimentaires américaines, en particulier les produits ultratransformés, et prône une agriculture bio et locale. De quoi changer les habitudes dans un pays souvent brocardé pour sa «malbouffe», où 80% des adultes sont en surpoids et 42% sont obèses?
Début mars, «RFK» donnait une interview sur Fox News, assis devant un menu ô combien américain, mais surprenant pour un ministre de la santé: un cheeseburger et des frites. Il ne s’agissait cependant pas d’un menu de fast-food comme les autres : les frites et le steak étaient cuits dans du suif de bœuf, à l’instar de tous les menus désormais cuisinés par la chaîne de fast-food Steak’n Shake. Une alternative présentée par RFK comme plus goûteuse et meilleure pour la santé, par opposition aux huiles de graine ou «seed oils», traditionnellement utilisées par les chaînes de fast-food, et brocardées par le nouveau secrétaire à la Santé comme nocives.
L’homme politique, anciennement démocrate et rallié à Donald Trump durant la campagne de 2024, affiche lui-même une forme impressionnante pour son âge. Il est entré depuis plusieurs années en croisade contre les habitudes alimentaires américaines, pointant nombre d’indicateurs au rouge (taux d’obésité, diabète, maladies chroniques, une faible espérance de vie par rapport à la richesse du pays…) et la responsabilité du régime suivi par ses compatriotes derrière ces derniers.
Ce que prône le mouvement MAHA
Le nouveau patron des politiques de santé aux États-Unis entend agir pour résoudre cette crise de la santé publique. Depuis sa nomination par Donald Trump, RFK a proposé de retirer les produits mauvais pour la santé, comme les sodas et barres chocolatées, des bons alimentaires, auxquels recourent 12,6% des résidents américains; d’interdire nombre de colorants et additifs alimentaires (dont certains sont illégaux dans l’UE); et d’expulser les produits ultratransformés (PUT) des cantines scolaires.
RFK et ses fans composent un mouvement surnommé «MAHA», pour « Make America Healthy Again », en référence au célèbre slogan de Donald Trump. Selon eux, l’industrie agroalimentaire américaine, soucieuse d’abaisser ses coûts au maximum et de rendre les consommateurs accros à ses produits, a misé sur le productivisme et une chaîne de valeur comportant toutes sortes d’additifs artificiels, responsables de la dégradation de la santé des Américains.
Il ne s’agit pas ici d’entrer dans une controverse sanitaire. Précisons simplement que certains éléments du mouvement MAHA font consensus auprès de la communauté scientifique: privilégier les fruits et légumes bios de saison, cultivés localement; manger de la viande de pâturage plutôt qu’issue de l’élevage intensif; éviter au maximum les PUT, les boissons sucrées, le fast-food; combattre certains pesticides comme le glyphosate… D’autres éléments sont plus controversés, comme la croisade de RFK contre les huiles de graines (telles que l’huile de tournesol, de lin ou de colza) et sa promotion des graisses animales, comme le beurre et le suif de bœuf. Certains professionnels de santé suggèrent effectivement de limiter l’usage de ces huiles, notamment du fait de leur caractère ultratransformé, d’autres ne voient aucun problème à leur consommation. La promotion que fait RFK d’un régime fortement carné va quant à elle à l’encontre de ce que recommandent la plupart des professionnels de santé. Sans même évoquer les positions très controversées du secrétaire à la Santé sur les vaccins.
Ses positions constituent un curieux mélange de convictions que ne renierait pas un hippie de San Francisco, de recommandations en accord avec le consensus scientifique, et d’idées promues par des influenceurs internet ayant rassemblé une large audience, notamment auprès des jeunes de droite. C’est le cas de Paul Saladino, un médecin et influenceur qui fait l’éloge d’un régime le plus naturel possible, très riche en viande et en fruits, et tonne régulièrement contre les huiles de graine. Certains influenceurs sont allés jusqu’à se filmer tirant à l’arme automatique sur des barils d’huile de graines.
Comment le mouvement MAHA recompose déjà le marché alimentaire d’outre-Atlantique
Une chose demeure certaine: ce mouvement bénéficie non seulement du pouvoir politique, avec l’arrivée de RFK à Washington, mais aussi d’une puissante influence sur la société. Il jouit à la fois d’une préoccupation croissante des Américains pour leur santé, et d’un scepticisme vis-à-vis des autorités sanitaires qui a pris de l’essor pendant la pandémie.
À certains égards, RFK n’a ainsi même pas besoin de légiférer. Sentant le vent tourner, certains grands industriels ont déjà commencé à adapter leur offre pour répondre aux préoccupations du mouvement MAHA. Kraft Heinz a annoncé le retrait des colorants alimentaires de tous ses produits vendus aux États-Unis d’ici la fin 2027, et General Mills lui a emboîté le pas. Sam’s club, une chaîne de supermarchés du géant Walmart, a prévu d’éliminer 40 composants artificiels, dont des colorants et l’aspartame, de sa gamme de produits d’ici la fin de l’année. Target a commencé à commercialiser les produits de Truvani, une marque fondée par l’activiste proche du mouvement MAHA Vani Hari, connue comme «The Food Babe», qui propose des barres et poudres protéinées composées d’ingrédients naturels.
D’autres ont sauté dans le wagon du front anti-huiles de graine. La chaîne Steak’n Shake a remplacé celles-ci par du suif de bœuf, et activement communiqué à cet égard sur les réseaux sociaux pour séduire le mouvement MAHA. Les paquets de chips de la marque Masa Chips arborent désormais fièrement l’inscription «No Seed Oils», remplacées par du suif de bœuf. D’autres géants de la grande distribution, comme Costco, développement leur offre de produits bios.
Car le mouvement semble bien parti pour prendre de l’ampleur. «Si Kennedy et la nouvelle administration continuent de populariser l’idée que les huiles de graines sont nocives, il pourrait bien se passer la même chose qu’avec le sirop de maïs (NDLR un liquide très sucré longtemps abondamment utilisé aux États-Unis), devenu depuis le début du siècle un symbole de tout ce qui ne va pas dans notre industrie alimentaire», prédit ainsi Nicholas Fereday, directeur des tendances alimentaires de la banque Rabobank, dans un récent papier de recherche.
«Le mouvement MAHA peut avoir un impact significatif sur le marché alimentaire américain», nous confie pour sa part Angela Huffman, présidente et cofondatrice de Farm Action, une organisation à but non lucratif qui défend les petites exploitations agricoles et une agriculture plus saine.
La chaîne de supermarché Whole Foods, qui a toujours mis en avant des produits bios et locaux, bénéficie déjà à plein de la dynamique. En difficulté il y a quelques années, elle compte désormais 570 établissements aux États-Unis, soit 40 de plus que l’an dernier, et prévoit d’en avoir 50 de plus d’ici la fin 2026.
Vents contraires
D’autant que l’influence de RFK ne se limite pas à son soft power. «Il peut directement influencer les recommandations diététiques, réguler les pesticides et façonner le discours public autour d’eux, donner la priorité à la recherche évaluant l’impact de l’agriculture productiviste, et influencer le travail d’autres agences du fait de son rôle au sein de l’administration Trump, comme le Département de l’Agriculture et l’Agence de Protection de l’Environnement», résume Angela Huffman. RFK dirige également la Commission MAHA, qui doit rendre un rapport en août dans lequel figureront les priorités stratégiques de l’actuelle administration en matière de santé.
Aussi forte soit sa volonté et l’influence du mouvement MAHA, RFK devra également faire face à de fortes contestations. S’il a pris RFK pour allié de circonstance, Trump n’est historiquement pas vraiment un ami de l’industrie bio et locale. Il incorpore à son propre régime nombre de produits fustigés par RFK. Le président se nourrit ainsi principalement de fast-food, avec une affection particulière pour McDonald’s, et boit jusqu’à douze cannettes de coca light par jour.
Le Parti républicain est en outre un allié historique des grandes entreprises, ce qui inclut les géants de l’alimentaire. Nombre de groupes de pression de l’industrie ont déjà émis leurs doléances au président face au risque que fait peser sur eux le mouvement MAHA. Or, si Donald Trump a souvent eu l’intelligence de s’ouvrir à de nouvelles voix pour remporter les élections, il tend ensuite à revenir sur la ligne traditionnelle du Parti républicain. En témoigne son virage en faveur des voitures électriques durant son rapprochement avec Elon Musk, qui n’aura duré que quelques mois.