La crise du coronavirus met en lumière, si cela n’avait pas déjà été fait, les maux français. Pays fragmenté et peu préparé, s’appuyant sur les mêmes élites depuis 40 ans, la France doit se révolutionner pour reprendre sa place.

Par Nicolas Marmagne, associé et directeur

 

La France est entrée en 2020 dans une phase dangereuse. Son peuple est en colère. Cette insatisfaction symbolisée par les gilets jaunes dès 2019 semble, avec la crise actuelle, précipiter le pays vers une période de tensions plus fortes.

Un pays d’opposition

La France est traversée par des oppositions qui ne font que grandir. Des castes s’opposent en permanence rendant complexe la possibilité de créer une réponse uniforme à la crise. Il est difficile de créer une union nationale dans ce moment critique quand les villes s’opposent aux campagnes. Les parisiens quittant la capitale en mars pour se confiner en province ont exporté le virus pour certains d’entre eux et ont été accueillis avec méfiance, voire défiance. Le professeur Raoult, à Marseille, est même devenu le symbole de ce contraste entre Paris et le reste de la France.

Difficile de créer une union nationale quand les banlieues s’opposent aux villes. Des banlieues qui ont continué à s’échauffer avec la police. Un service d’ordre qui devait être plus «permissif» dans certains quartiers que dans d’autres. Le deux poids, deux mesures renforce un sentiment d’injustice.

Difficile de créer une union nationale quand les «élites» se distancient du peuple. Des «élites» et un gouvernement qui, en plus de ne pas avoir préparé de stock de masques – gouverner n’est-il pas prévoir? – ont infantilisé les français, leur mentant et montrant tout l’amateurisme de sa gestion.

«Il n’y a de réussite qu’à partir de la vérité», Charles de Gaulle

La droite s’oppose à la gauche, les syndicats aux patronats, le privé au public. Aujourd’hui les emplois «subalternes» comme infirmières, caissières, agents de nettoyage, sont remerciés avec autant de gratitude que le mépris ou pire, l’indifférence, qu’on leur réservait auparavant. Difficile de fédérer quand chacun cherche à gagner sa propre bataille. Les privilèges des uns sont les acquis des autres.

Un éternel recommencement

Le manque de préparation des «managers» de la France n’est malheureusement pas une nouveauté. A chaque début de crise majeure, les «élites» françaises, peu préparées, s’embourbent dans leurs propres erreurs ou manque d’anticipation.

Le peuple de France vit, à 80 ans d’écart, la douce certitude de son état-major protégé par la ligne Maginot. Une certitude qui fut balayée par l’armée allemande en quelques semaines. 1914 ne fait pas exception malgré la perception actuelle. Devant les défaites à répétition, le ministre de la guerre, Adolphe Messimy, ordonna au général Joffre de relever de leurs fonctions les généraux incompétents. 162 d’entre eux seront limogés, soit envoyés vers leur nouveau lieu de mutation: Limoges.

La vie n’est qu’un éternel recommencement. Toutes les défaites françaises sont donc … prévisibles. Elles mettent en relief l’incapacité à anticiper dans une forme de suffisance.

Crise générationnelle

Cette crise met également au jour un troisième aspect majeur: le manque de renouvellement des «élites». Les gouvernants, journalistes, commentateurs politiques, sont les mêmes depuis 40 ans. La présidence actuelle, bien que symbolisée par un leader plus jeune, a pu reprendre une grande partie des personnalités des deux grands courants politiques français et leurs conseillers. Depuis des décennies une forme de pensée unique, parce que proposée par les mêmes personnes, est en place dans le pays.

La génération qui a fêté ses 18 ans en 1968, qui «interdisait d’interdire», a vécu cette même année la grippe de Hong Kong. Avec près de 31’000 morts en France la grippe s’est propagée sans que la presse ne crée un climat anxiogène chez les français. Cette génération « 1968 » monopolise aujourd’hui les leviers du pouvoir. Elle est plus âgée et donc plus à risque d’un virus. Elle réagit en fonction de ses propres intérêts et est aujourd’hui en passe de proposer une généralisation du traçage et de la surveillance…

Cette génération qui dénonçait la France du Général, trop «rigide», s’avance dans la direction de l’Etat policier et réagit avec agressivité envers toute proposition non conforme à la bien-pensance établie.

C’est une crise générationnelle qui est en passe de se créer entre cette génération «1968» élargie et les générations X, Y ou Z.

Une génération d’après-guerre qui aura pu compter sur le plein-emploi, l’inflation, des syndicats puissants et qui aura pu bénéficier, et abuser pour certains, des leviers du pouvoir pendant de nombreuses décennies. Les générations qui suivent vont devoir vivre avec une dette gigantesque, un appareil étatique hypertrophié mais incapable de gérer une crise sanitaire, avec une crise climatique et devront payer les acquis des précédents sans avoir aucune certitude sur leur propre avenir. Un héritage bien lourd.

La France d’après

Que va-t-il se passer lorsque cette crise sera passée? Changement de gouvernement? Crise de régime? Grève générale? Difficile à anticiper tant la problématique est complexe et les tensions importantes. Pour faire avancer le pays, il conviendra dans tous les cas de travailler sur les inconsistances identifiées.

Il conviendra tout d’abord de limiter les oppositions et créer les conditions du partenariat.

Chacun devra faire un pas vers l’autre pour retrouver une forme de paix sociale. En quoi l’opposition perpétuelle entre syndicats et patronat est-elle productive ? Faut-il rappeler que la France a un des plus faibles taux de syndicalisation dans les pays riches? 11% en 2016 soit deux fois moins que la moyenne des pays de l’OCDE! Dès lors comment expliquer que ces syndicats aient encore autant de pouvoir de nuisance dans le pays et ne soient pas une force de proposition? Et pourquoi le patronat ne partagerait pas plus facilement les gains de productivité? La part des salaires dans les résultats des entreprises ne progresse plus depuis 40 ans. Le partenariat patronat-syndicat est essentiel, comme le partenariat public-privé.

L’Etat devra bien sûr retrouver son rôle de stratège. La France bénéficie de compétences extraordinaires. Des médecins, des ingénieurs, des artisans, … Il est navrant de les voir gâchés par un manque d’anticipation, par une bureaucratie qui étouffe les initiatives individuelles. Les institutions devront être réformées pour être plus représentatives et plus flexibles. La gestion des entreprises a largement évolué en 30 ans. D’une structure très pyramidale, les ressources humaines sont désormais gérées de manière plus horizontale, laissant liberté et créativité à chaque individu. L’intelligence est collective. La France doit s’adapter à cette logique, plus humaine et plus efficace, inévitablement moins centralisée. La confiance sera la clé de voûte de cette réussite en brisant tous les verrous, impliquant un renouvellement de notre classe politique ou de nos grands fonctionnaires. L’équilibre générationnel est crucial.

La France est regardée, scrutée par le monde entier. Pays des lumières, de la liberté d’expression, d’une politique gaullienne non alignée dans les années 1960, elle est un modèle pour beaucoup. Mais cela ne veut pas dire qu’elle doit s’enfermer dans ses certitudes et une bien-pensance dogmatique. Elle a cette responsabilité envers le monde. Elle doit montrer le chemin.

La France n’évolue pas. Elle se révolutionne. Elle reste bloquée pendant des décennies avant qu’une crise ne vienne la bouleverser et provoquer un sursaut. C’est dans ces moments que les grands hommes apparaissent et permettent au pays de se transformer. Réjouissons-nous, nous approchons de ce moment où la France redeviendra la France.

«La France ne peut être la France sans la grandeur», Charles de Gaulle