Dans sa forme la plus grave, le coronavirus cause des problèmes respiratoires pouvant conduire à la mort. L’asphyxie est aussi ce qui menace l’économie des pays qui ont mis en place des mesures de confinement sur tout ou partie de leur territoire. C’est le cas des États-Unis depuis une semaine environ. Il faut donc de l’oxygène et les outils et procédures pour en administrer la bonne dose. La Fed et le Trésor sont à la manoeuvre. La banque centrale, la plus prompte à l’action, ne fixe plus guère de limite à son champ d’intervention. Le Sénat vient d’adopter un plan de soutien budgétaire d’environ 10 points de PIB.

Focus US par Bruno Cavalier, Chef Economiste et Fabien Bossy, Economiste

 

En une semaine, 2% de la force de travail s’est retrouvée au chômage. Il y en aura peut-être davantage la semaine prochaine, puis la suivante, etc. C’est du jamais-vu dans l’histoire des États-Unis, mais c’est hélas la conséquence logique d’une économie qui baisse le rideau dans de nombreux secteurs. Près de 50 millions d’employés sont directement à risque, ceux qui travaillent dans le commerce de détail (17M), les loisirs, l’hôtellerie et la restauration (15M), les transports (8M) et divers autres services. Ce sont typiquement des secteurs où le revenu médian est plus bas que la moyenne nationale et où l’épargne de précaution est faible ou inexistante.

La fermeture de l’économie est le remède, sinon contre le virus, en tout cas contre sa diffusion trop rapide. Dès lors qu’il s’agit de l’objectif de santé publique, recueillant un large appui des experts médicaux, il n’y a pas moyen d’éviter une sévère contraction du PIB et une hausse spectaculaire du chômage. Donald Trump se lamente sur le coût de cette crise sanitaire, mais la réouverture précoce de l’économie qu’il promet (sans d’ailleurs avoir l’autorité pour l’imposer aux gouverneurs des états) risque d’aggraver le mal plus qu’autre chose. Le rôle des autorités est d’offrir la compensation maximale afin de garder l’économie en état de rebondir vigoureusement lorsque la situation sanitaire rendra possible la levée des mesures de confinement. On fait ici le point sur les mesures budgétaires et monétaires récemment annoncées.

Action budgétaire

Après quelques atermoiements rappelant que c’est une année d’élection, le Sénat a passé un programme de soutien à l’économie1. Le montant total des aides, garanties et dépenses est de 2200Md$. Les grandes masses sont:

  • 290Md$ : chèques ou remise fiscale aux ménages sous condition de ressources (à hauteur de 1200$ par adulte et de 500$ par enfant)
  • 260Md$ : extension du plafond et de la durée de l’assurance-chômage
  • 450 Md$ : garantie du programme de prêts de la Fed (potentiellement 4.5trl) aux grandes entreprises et administrations locales
  • 377Md$ : prêts ou garantie des prêts aux PME
  • 150 Md$ : aides directes aux états
  • 180Md$ : hausse des dépenses dans le système de santé
  • 280 Md$ : baisse de taxes sur les entreprises
  • 50Md$ : prêts directs aux compagnies aériennes et aux entreprises vitales pour la sécurité nationale
  • 40 Md$ : extension de diverses allocations sociales (food stamps)
  • Et un peu plus de 100 Md$ en dépenses diverses.

Action monétaire

Depuis la baisse des taux en urgence du 3 mars, la Fed a multiplié les interventions de toutes sortes:

  • Baisse des taux jusqu’au plancher des taux zéro (-150bp en quinze jours)
  • Quasi-suppression de la prime de la discount window (fixée à 0.25%)
  • Relancé du QE, d’abord pour enveloppe de 500 Md$ d’obligations du Trésor et de 200Md$ de Mortgage-Backed Securitie., puis sans limite
  • Relance de programmes d’injection de liquidités utilisés en 2008-09: Commercial Paper Funding Facility (CPFF), Primary Dealer Credit Facility (PDCF) et Money Market Mutual Fund Liquidity Facility (MMMFLF). Ce dernier dispositif est plus extensif que le Asset-Backed Commercial Paper Money Market Mutual Fund Liquidity Facility de 2008, il peut notamment acheter de la dette court-terme des administrations locales
  • Création d’outils de soutien au marché de la dette d’entreprises : Primary Market Corporate Credit Facility (PMCCF) et le Secondary Market Corporate Credit Facility (SMCCF). Un programme vise aussi les crédits aux ménages : le Term Asset-Backed Securities Loan Facility (TALF). Un programme destiné à soutenir le crédit aux PME est en cours d’élaboration
  • Assouplissement des réglementations pesant sur les banques.

US : dépenses et recettes de l’Etat fédéral

Au total, l’assouplissement du policy-mix est considérable. Le déficit budgétaire se dirige vers les 10% du PIB, le double de 2019 environ, égalant le record de 2009 (graphe du haut). L’expansion du bilan de la banque centrale est plus rapide qu’en 2008, depuis une base bien plus grande (graphe du bas). Il est difficile de dire si ces actions seront suffisantes car la crise sanitaire est loin d’être stabilisée, mais la réaction à ce choc inédit est elle-même d’une ampleur et d’une rapidité inédite.

 

A suivre cette semaine

US : actifs de la Fed et taux des fonds fédéraux

Les indices ISM (le 1er avril pour le manufacturier, le 3 pour le non-manufacturier) devraient s’effondrer comme les indices PMI. La confiance des ménages (le 31) va aller dans la même direction. Le rapport mensuel sur le marché du travail (publié le 3 avril) est réalisé sur la base d’enquêtes menées dans la semaine contenant le 12 du mois. A la date du 12 mars, le choc du coronavirus débutait tout juste (initial claims en hausse de +71K, +3M une semaine plus tard). Il est possible que l’emploi total se contracte – ce serait la première fois depuis la mi-2010 – mais, au pire, ce sera assez modestement cette fois-ci. Le nouveau chiffre des claims pour la semaine du 26 mars (publié le 2) donnera une vue bien plus contemporaine de la dégradation des conditions sur le marché du travail.

 

Sources : Thomson Reuters, Fed, Oddo BHF Securities


1. Coronavirus Aid, Relief and Economic Security (CARES) Act. Voir aussi CRFB (2020), “What’s in the $2 Trillion Coronavirus Relief Package?”, blogpost du 25 mars