Les déboires du fonds Archegos Capital nous rappellent que certaines erreurs de gestion peuvent s’avérer fatales – surtout lorsque celles-ci se cumulent.

Par Charles-Henry Monchau, CFA, CMT, CAIA – CIO de FlowBank

 

Lundi matin, nous avons enfin appris qui était derrière les ordres gigantesques passés sur le marché la semaine précédente et en particulier vendredi. Dans un «remake» parfait du film «Margin call», le fonds Archegos s’est vu contraint de liquider plus de 20 milliards de dollars de positions après n’avoir pu répondre à des appels de marge. Cette liquidation a provoqué de nombreux remous sur les marchés mondiaux, Crédit Suisse et Nomura évoquant notamment des «pertes importantes».

Comment un fonds d’une taille si importante et géré par des professionnels aguerris peut-il disparaitre en seulement quelques jours ? Ces erreurs de gestion sont-elles évitables?

Il est intéressant de constater que la majorité des investisseurs, qu’ils soient aguerris ou néophytes, commettent souvent les mêmes fautes. Ci-dessous, nous passons en revue ce que nous considérons comme les 7 péchés capitaux dans le domaine du trading et de l’investissement.

Ne pas avoir de stratégie

Une stratégie de trading ou d’investissement est une ligne de conduite à suivre concernant l’initiation d’une position, la fixation d’un objectif, d’un horizon-temps, et l’utilisation de «stop-loss». Sans plan de trading, l’émotion et l’irrationalité prennent souvent le dessus. L’utilisation de «stop-loss» permet de limiter les pertes avant qu’elles ne deviennent trop importantes – ce qui peut s’avérer très utile lorsque l’on utilise un effet de levier. Il est également fortement conseillé d’établir un plan d’action en anticipation des crises plutôt que pendant les périodes de crise. En effet, la plupart des traders attendent que les marchés s’écroulent avant de développer une stratégie. Ils se retrouvent alors totalement pris de court. La meilleure solution est d’élaborer un plan à l’avance. Par exemple, en achetant de faibles quantités dans la phase de baisse des marchés – une pratique connue sous le nom de «dollar-cost averaging». L’histoire des crises financières prouve que c’est une stratégie qui s’est très souvent avérée gagnante.

Investir dans ce que l’on ne connait pas

Acheter des options sans en connaitre les spécificités est voué à l’échec. Il est primordial d’effectuer un travail d’analyse approfondi sur les instruments et les actifs dans lesquels on souhaite investir. Les investisseurs doivent également s’intéresser aux acteurs du marché, aux fondamentaux, à l’offre et la demande, etc. Warren Buffett dit lui-même qu’il n’investit que dans les entreprises dont il comprend le modèle d’affaire. Qu’il s’agisse d’investissement ou de trading la problématique reste la même: il est préférable de se positionner sur ce que l’on connait. Cette systématique permet par exemple de pouvoir maitriser ses émotions dans les périodes de très volatiles. Il est plus aisé de ne pas paniquer lorsque l’on a une forte conviction sur l’actif dans lequel on est investi.

L’excès de confiance

Comme dans d’autres disciplines, l’euphorie générée par un succès peut obscurcir le jugement et la prise de décision. L’adrénaline suite à un gain peut mener les investisseurs à se précipiter vers une autre position avec le capital récemment engrangé sans effectuer une analyse préalable. Cela peut mener à des pertes et réduire à néant les gains récemment engrangés. C’est pour cela qu’il est primordial de se tenir à son plan de trading. Un autre moyen de garder les pieds sur terre et d’adhérer à une certaine discipline comme le «rebalancing» de son portefeuille, c’est-à-dire un réajustement périodique des pondérations stratégiques de son portefeuille. Par exemple, après une forte période de hausse des marchés d’actions, un portefeuille peut avoir une allocation disproportionnée aux actions par rapport aux autres classes d’actifs. Un rééquilibrage du portefeuille force l’investisseur à prendre des profits sur les positions qui ont surperformé de manière disproportionnée.

La triple peine –  «Concentration – Illiquidité – Levier»

Comme pour un crash d’avion, les plus grosses pertes sur les marchés boursiers ne proviennent pas d’une seule erreur mais du cumul de plusieurs défaillances. La surexposition de son capital sur un faible nombre de positions peut engendrer des profits plus importants mais elle augmente également le risque inhérent du portefeuille – d’où l’intérêt de diversifier ses portefeuilles. Un des facteurs aggravants est le recours à l’effet de levier, qui correspond essentiellement à un prêt effectué par un trader pour accroitre la taille d’une position. En misant davantage que son capital, les gains peuvent être démultipliés mais il en va de même pour les pertes. En effet, lorsque la position s’avère perdante, le trader doit faire recourir à des appels de marge et donc des ventes forcées afin de couvrir les pertes. Les risques encourus par les traders deviennent encore plus importants lorsque les instruments traités ont une faible liquidité. En cas de vente forcée, le trader se voit alors dans l’obligation de liquider une grande quantité de titres dans un marché étroit, créant ce qu’on appelle une spirale descendante: plus le trader vend de titres, plus le prix baisse, plus les appels de marge forcent le trader à vendre davantage et ainsi de suite. C’est exactement ce qui s’est produit dans le cas d’Archegos. En concentrant leur portefeuille sur un faible nombre de positions avec un très fort effet de levier, le fonds Archegos est rentré dans un cercle vicieux une fois que le marché est allé contre lui.

Couper trop tôt les positions gagnantes et garder les perdantes

Comme dit l’adage en anglais: «Cut the losers – ride the winners». Une erreur typique commise par de nombreux traders et investisseurs est de garder les positions perdantes en espérant se «refaire». La tentation de laisser des transactions perdantes ouvertes dans l’espoir que le marché se retourne peut s’avérer être une grave erreur, et ne pas parvenir à limiter les pertes peut réduire à néant les profits qu’un investisseur a réalisé ailleurs. Le même mécanisme psychologique fait que les positions gagnantes sont souvent coupées trop rapidement, afin de pouvoir réaliser un gain certain. Les traders performants opèrent de manière opposée. Ils veulent limiter leurs pertes (gestion du risque très souvent via des «stop-loss») mais laissent la porte ouverte aux gains. Lorsqu’une position est en train d’être gagnante, le «momentum» est souvent du côté du trader et il est donc opportun de laisser une position ouverte. C’est très souvent dans les grandes phases haussières que les profits les plus importants sont réalisés en trading. En revanche, fermer toutes les positions gagnantes prématurément est voué à l’échec.

Penser que le marché se trompe systématiquement

De nombreux investisseurs ont tendance à penser que le marché se trompe, sans émettre l’hypothèse qu’ils ont peut-être mal interprété certains développements. Combien d’épargnants ont parié à l’encontre du marché obligataire ces dernières années sous prétexte que les rendements sont trop bas (voir négatifs)? Pourquoi tant d’investisseurs ont compris trop tardivement les extraordinaires succès de sociétés telles que Apple, Google ou Tesla du fait de P/E trop généreux? Même la théorie moderne du portefeuille nous enseigne qu’il existe une justification rationnelle à tout mouvement de prix. Une erreur quasi-systématique est de ne pas investir dans un titre ou marché parce que le ratio d’évaluation est trop élevé. Il est plus important de comprendre la raison derrière une prime ou décote d’évaluation mais aussi les facteurs qui pourraient créer un changement de perception du marché. Certes, le marché peut parfois se tromper, les investisseurs surréagissant à la hausse comme à la baisse. C’est d’ailleurs lors de ces fameux «turning points» manqués par le consensus qu’un positionnement «contrarian» peut s’avérer le plus bénéfique. Mais les investisseurs et traders qui parient de manière systématique contre le marché sont perdants dans la plupart des cas.

Parier contre les politiques monétaires et fiscales

Un nombre incalculable d’investisseurs sont passés à côté de deux marchés haussiers sans précédent: la bulle du marché obligataire des vingt-cinq dernières années et celle du marché d’actions américaines depuis 2008. La raison invoquée par les sceptiques? Les politiques de «quantitative easing» et de surendettement ne peuvent déboucher que sur une catastrophe macro-économique, synonyme d’inflation, de faillites d’entreprise et de perte de crédibilité des Etats. Mais ce sont bien les torrents de liquidité injectés par les banques centrales qui ont créé le fameux TINA (There Is No Alternative), «forçant» les investisseurs à investir leurs liquidités dans les obligations et les actions. Les relances budgétaires semblent contribuer au prolongement du marché haussier sur les actifs risqués. Au risque de percer la bulle obligataire? Une fois de plus, il s’agira pour les investisseurs de ne pas sous-estimer la créativité de la Réserve fédérale et le fameux «Don’t fight the Fed». Un principe de base: ce sont les décideurs politiques qui établissent les règles du jeu – les investisseurs doivent allouer leurs capitaux en fonction de ces règles – et non le contraire.

 

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