L’inflation a ralenti plus qu’attendu en mars pour ressortir au plus bas depuis deux ans. En large partie, c’est encore un effet-énergie. Certains détails sont moins encourageants. Vu la normalisation des chaînes d’approvisionnement, on serait en droit d’attendre une modération plus nette des prix de biens hors-énergie. De même, les prix des services hors logements – le point focal pour Jerome Powell – sont assez inertes à un haut niveau. Ces évolutions donnent encore l’image d’une économie qui reste en surchauffe. On a lieu de penser, surtout après l’épisode SVB, que ce n’est plus le cas. Les risques baissiers ont monté. Nous pensons que la dernière hausse de taux de la Fed aura lieu en mai.
Focus US par Bruno Cavalier, Chef Economiste et Fabien Bossy, Economiste
- L’inflation totale continue de ralentir, à 5% sur un an, soit 4 points sous son pic de juin 2022. A plus court terme, elle évolue au voisinage de 4%, bien au-dessus de la cible.
- L’inflation sous-jacente a une dynamique similaire mais le freinage est moins marqué. De plus, les rythmes récents sont plus hauts, à peine au-dessous de 5%, ce qui ne peut certainement pas contenter la banque centrale.
- L’énergie reste de loin le principal contributeur à la désinflation. Il y a encore un potentiel baissier jusque à la mi-2023 (voir Focus-US de la semaine passée) mais pas vraiment au-delà. La baisse de la production OPEP rappelle que rien n’est acquis.
- L’inflation alimentaire a tardé à ralentir mais la tendance semble enfin amorcée. Les prix ont stagné en mars. Il y a peu d’exemples historiques d’une baisse des prix, même si l’évolution récente des prix de gros (indice FAO) devrait pousser en ce sens.
- Le prix des voitures d’occasion a baissé, aidant largement à la désinflation. Toutefois certains indices alternatifs (Manheim, Blackbook) pointent dans l’autre sens depuis quelques mois. Sa contribution à l’inflation pourrait repasser en positif.
- Les prix des autres biens (core goods) avaient ralenti fin 2022 mais ont rebondi au T1 2023. Ils évoluent au rythme d’environ 4% l’an malgré la normalisation des chaînes de production. Sur la décennie de 2009 à 2019, ils avaient été presque stables.
- Les prix des services de logement ont surpris à la baisse en mars. Etant assez inertes, un repli plus net est anticipé au S2 2023. De leurs rythmes récents à environ 9% l’an, ils se modéreraient vers 6% fin 2023 et vers 2% fin 2024. Une baisse plus forte ou plus rapide nécessiterait une hausse des vacances locatives.
- Les prix des assurances médicales (dont la méthodologie était peu adaptée au choc pandémique) et ceux des billets d’avion (liés à l’essence) baissent encore rapidement.
- L’inflation des autres services (core services) affiche une grande inertie à haut niveau
proche de 6%. Pour M. Powell, c’est là que se jouera la victoire de la Fed sur l’inflation. - Les indices alternatifs de l’inflation sous-jacente suivent un momentum baissier
Economie
Les tensions du marché du travail continuent de se réduire mais toujours de manière graduelle. En mars, l’emploi a baissé dans quelques secteurs – la construction (-9k), le secteur manufacturier (-1k) et le travail temporaire (-11k) – mais reste dynamique dans les services. Au total, le rythme mensuel des créations d’emploi est ressorti à 236.000 contre 345.000 sur les trois mois précédents. Cela dépasse toujours la tendance prépandémie (190.000 de 2015 à 2019). Le freinage est un peu accentué si on y ajoute le repli de la durée effective du travail (-0.1% m/m). Le nombre des heures travaillées (un proxy de la croissance du PIB réel à productivité donnée) a progressé de 2.5% t/t en rythme annualisé au T1 2023, vs +1.9% au T4 2022 et 3.3% au T3. Ce n’est pas vraiment l’image qu’on se fait d’une économie à l’arrêt. Par ailleurs, le rythme des gains salariaux continue aussi de ralentir. Il ressort à 4.2% sur un an pour l’ensemble des salariés, vs 4.8% en décembre 2022 et 5.9% en mars 2022.
Les inscriptions hebdomadaires au chômage ont été révisées par le BLS à la suite d’un changement de méthode des corrections saisonnières. Sur 2021-22, le niveau post-révisions est un peu plus bas que l’estimation initiale (-9k) mais au T1 2023 il est plus haut (+26k). Il y a désormais une amorce de tendance haussière depuis le début de l’année. Au 8 avril, le nombre d’inscriptions était de 239.000. En se basant sur un modèle de la Fed de Kansas City, nous estimons que le seuil à franchir pour signaler une hausse du taux de chômage est 246.000.
En mars, le CPI est sorti un peu au-dessous des attentes en mars (voir p.1). Le PPI a également surpris à la baisse (-0.5% m/m). Là encore, c’est dû avant tout à une forte contribution négative venant de l’énergie. Sur un an, l’inflation du PPI tombe à 2.7% après avoir été en territoire à deux chiffres au S1 2022. Comme pour le CPI, les indices sous-jacents sont un peu moins flatteurs.
En février, la croissance du crédit à la consommation confirme son freinage, amorcé l’été dernier. Sur les trois derniers mois, le gain mensuel ressort à 16Md$, soit moitié moins qu’en 2022. La modération est plus nette sur le crédit revolving (25% du total), ce qui corrige aussi une envolée plus marquée l’an dernier. Les taux continuent de répercuter le resserrement monétaire: le taux d’intérêt moyen sur les cartes de crédit est à 20% (+480pdb en un an), celui sur les prêts-auto à 7.5% (+260pdb).
Politique monétaire et budgétaire
Sur la semaine se terminant au 29 mars, le stress bancaire s’est un peu atténué. Les petites banques n’ont pas subi de retraits de dépôts. La baisse des dépôts bancaires se poursuit néanmoins (-65Md$ w/w), surtout dans les grandes banques. C’est une normalisation inévitable après l’envolée de 2020-21.
Au 12 avril, le recours aux facilités de la Fed a encore reculé à 139Md$ (fenêtre d’escompte + BTFP), vs un pic à 165Md$ juste après la faillite de SVB.
La dernière réunion du FOMC le 22 mars s’était déroulée sur fond de stress au sujet des banques et alors que la Fed n’avait pas la certitude d’avoir endigué la panique. Les minutes reflètent ce climat particulier. Dans ce contexte, le staff de la Fed a abaissé ses perspectives pour y intégrer une « modeste récession » débutant courant 2023, suivie d’un redressement en 2024-2025. Jusqu’à présent, ce scénario était jugé comme une alternative plausible. (Note: ses perspectives sont différentes des projections des membres du FOMC). Si la décision de monter les taux de 25pdb a été unanime, certaines nuances se sont exprimées durant la récession. Les plus hawskish (partisans de +50pdb) se sont ralliés à cette position à cause du stress bancaire, les plus dovish (partisans d’une pause) à cause de l’inflation toujours élevée.
En vue de la prochaine réunion du 3 mai, plusieurs présidents de Fed régionale se sont exprimés cette semaine. Certains se montrent plus ouverts à une pause (Austan Goolsbee de Chicago, Mary Daly de San Francisco), les autres à une autre hausse de taux de 25pdb (John Williams de New York, Patrick Harker de Philadelphie). Aucun ne manque de souligner que le contexte est plus incertain mais pour autant personne n’ouvre la voie à un assouplissement imminent de la politique monétaire (à rebours des attentes des marchés).
A suivre cette semaine
Sont à paraître des indices de climat des affaires pour avril dans la construction résidentielle (le 17) et le secteur manufacturier (Fed de NY le 17, Fed de Philadelphie le 20), ainsi que les enquêtes PMI préliminaires (le 20). Le Livre Beige (le 19) donnera une appréciation plus large sur les conditions d’activité et de crédit peu de temps après la faillite de SVB.
Sources : Thomson Reuters, Bloomberg, ODDO BHF Securities