Avec le recul, investir dans les actions américaines au creux de la crise financière mondiale était une opération facile à réaliser. Mais la vague de liquidités est en train de se retirer du système à une vitesse inégalée depuis des décennies.

Par Matthew Benkendorf, Chief Investment Officer Quality Growth Boutique, Portfolio Manager et Grant Bughman, Head of the Client Portfolio Management Team

 

En bref

  • La hausse des taux a eu un impact sur la rentabilité des entreprises qui comptaient sur des sources de financement bon marché pour soutenir leur croissance, racheter des actions ou acquérir des concurrents.
  • Les changements survenus sur le marché ont aussi eu un impact sur les performances des gestionnaires actifs d’actions. Certaines stratégies qui présentaient un faible risque lorsque les taux étaient bas peuvent, de fait, présenter un risque plus élevé avec le retour des taux à des niveaux normaux – un loup déguisé en agneau.
  • Une façon de se prémunir contre les risques est de ne pas se concentrer sur l’investissement «growth» aux dépens de tout le reste. Si cette approche peut exclure certaines des entreprises à croissance très rapide, investir dans la croissance pour la croissance ne serait pas une bonne stratégie. C’est la croissance rentable qui est l’objectif.

Loup dans la bergerie: actions à risque dans un contexte changeant

Matthew Benkendorf

Avec le recul, investir dans les actions américaines au creux de la crise financière mondiale était une opération facile à réaliser. L’indice S&P 500 a enregistré un rendement de 638% (cumulatif) ou supérieur à 15% (annualisé) du 31 mars 2009 au 30 juin 2023. De fait, l’un des plus grands marchés haussiers de l’histoire a été parsemé d’embûches. Mais un facteur constant a prévalu tout au long de la période: le soutien monétaire sans faille des banques centrales, en particulier celui de la Fed. Du moins jusqu’à récemment.

La vague de liquidités est en train de se retirer du système à une vitesse inégalée depuis des décennies. Il n’y a pas de meilleure illustration que la hausse massive des taux aux États-Unis, avec un rendement du Trésor US à 10 ans (graphique 1) qui a atteint des niveaux inégalés depuis avant la crise financière mondiale. Si le cycle des hausses de taux de la Fed pouvait toucher à sa fin, un retour à un contexte calme, de faible inflation, de croissance économique positive et de baisse/stabilité des taux semble de plus en plus improbable.

2023.10.24.Rendement 10 ans

Grant Bughman

Nombre d’investisseurs ont profité de la détention d’un portefeuille concentré sur des entreprises à forte croissance, soutenues par des vents contraires inhabituels et continus pendant une période prolongée. Par exemple, plusieurs entreprises de qualité moyenne ou inférieure ont bénéficié d’une expansion de marges, quel que soit leur profil de risque. Ces conditions de marché anormales ont rendu difficile la distinction entre les facteurs de qualité temporaires et durables. Pour diverses raisons, certaines entreprises à forte croissance ont affiché une croissance excessive à court terme (graphique 2). De ce fait, les investisseurs peuvent ne pas détenir en réalité les entreprises de qualité qu’ils pensaient avoir dans leurs portefeuilles. Si le régime du marché changeait en effet brusquement, ils pourraient désormais être exposés à des risques qui étaient auparavant dissimulés.

Se diversifier par une approche de croissance de haute qualité, différenciée et éprouvée, à des prix raisonnables, peut être la bonne stratégie pour les temps de volatilité qui s’annoncent.

2023.10.24.Entreprises

Arrêt possible de l’expansion des marges

La hausse des taux a nettement affecté les prix des actifs dans le monde. La rentabilité des entreprises qui comptaient sur des sources de financement bon marché pour soutenir leur croissance, racheter des actions ou acquérir des concurrents est désormais compromise. L’évaluation du profil de marge à long terme des entreprises manufacturières aux États-Unis démontre cet impact. Si la tendance à la stabilité des marges était évidente entre les années 1950 et 1990 (graphique 3), elle a explosé au cours des deux dernières décennies, pour les raisons illustrées dans le graphique 4.

2023.10.24.Marges

2023.10.24.Baisse des taux

Sur la période 2010-2021, 50% de l’amélioration des marges des entreprises manufacturières est due à une baisse des taux. Reste à savoir si les taux resteront durablement élevés. Mais la tendance s’est bel et bien inversée et les entreprises qui ont bénéficié de taux bas durables ces dernières décennies ont peu de chances de bénéficier des mêmes avantages à l’avenir. Aussi, certains des autres facteurs qui ont joué un rôle majeur dans l’expansion des marges par le passé, tels que les réductions des taux fiscaux (pour 18% du total) et la mondialisation (16%), sont susceptibles de devenir des vents contraires plutôt que des vents favorables. À l’avenir, les entreprises qui possèdent de véritables avantages concurrentiels, avec un pouvoir de fixation des prix et une demande structurelle devraient se démarquer encore plus que par le passé.

La fin de «l’âge d’or» des entreprises à forte croissance

Les changements survenus sur le marché ont aussi eu un impact important sur les performances des gestionnaires actifs d’actions. Certaines stratégies qui présentaient un faible risque lorsque les taux étaient bas peuvent, de fait, présenter un risque plus élevé avec le retour des taux à des niveaux normaux – un loup déguisé en agneau.

Durant les 3 ans avant fin 2021 – l’«âge d’or» de l’investissement «growth» – des rendements exceptionnels ont pu être dégagés, par les gestionnaires ayant pris le plus de risques, grâce à une politique monétaire souple et aux champions informatiques de la crise Covid. En analysant les performances des gestionnaires de fonds en «US Large Cap Growth», il apparaît clairement que le quartile supérieur a surperformé l’indice S&P 500 de 8,66% en moyenne. Les 21 mois suivants n’ont toutefois pas été aussi favorables à ce groupe de gestionnaires, qui a perdu une grande partie de sa surperformance, avec une baisse de −11,78 %.

Les statistiques de risque sont tout aussi éclairantes quand on analyse les performances d’un même groupe de gestionnaires. Durant l’âge d’or de trois ans avant fin 2021, le quartile supérieur des gestionnaires US a affiché un bêta légèrement inférieur au S&P 500, à savoir 0,97. Les investisseurs ne peuvent être blâmés pour avoir pensé qu’ils pouvaient avoir le beurre et l’argent du beurre. Toutefois, depuis lors, leur bêta est passé à 1,15. De même, l’écart-type est passé de 20,49 à 27,37 (graphique 5). On pourrait dire que le risque des fonds «formule F1» a toujours existé et qu’il suffisait d’une étincelle pour déclencher l’explosion. En incluant dans cette analyse des gestionnaires plus orientés vers l’international par rapport à l’indice MSCI All Country World Index (ACWI), on obtient un schéma similaire (graphique 6).

2023.10.24.US funds

2023.10.24.Large caps growth

Ce récent choc dans les performances amène les investisseurs à se poser de nombreuses questions. En particulier, est-ce que le contexte à venir risque de ressembler à l’environnement de taux bas d’hier? Ou sera-t-il différent? Peut-être ressemblera-t-il à des périodes plus classiques où les récessions étaient plus fréquentes, et l’expansion économique des 40 dernières années, soutenue par les banques centrales, était une exception. Le débat est ouvert et personne ne peut être certain de l’avenir. Toutefois, les investisseurs ont tout intérêt à examiner de plus près le risque sous-jacent à leur exposition aux actions et à comprendre si les profils de rendement resteront reproductibles dans un environnement de marché différent.

Comment échapper au loup

Une façon de se prémunir des risques du marché est de ne pas se concentrer sur l’investissement «growth» aux dépens de tout le reste. Cela ne veut pas dire qu’une entreprise donnée ne doit pas être sur la voie de la réussite, mais lorsque le marché ne s’intéresse qu’au potentiel d’une entreprise et ignore les risques, il faut être prudent. Les entreprises en croissance qui disposent d’un modèle éprouvé et rentable et qui se négocient à des prix raisonnables sont un moyen plus prudent et historiquement rentable de se protéger des ralentissements du marché et peuvent permettre de traverser le cycle sans encombre. Un gestionnaire de qualité «growth» ne devrait pas cibler uniquement sur la croissance, mais rechercher d’abord des entreprises de qualité. Si cette approche peut exclure certaines des entreprises à croissance très rapide, investir dans la croissance pour la croissance ne serait pas une bonne stratégie. C’est la croissance rentable qui est l’objectif.

Prenons l’exemple de l’entreprise américaine Mondelez1, leader mondial proposant une offre diversifiée de snacks, avec une position de numéro un dans les biscuits et de numéro deux dans le chocolat.

  • Bénéficie de deux tendances à long terme: 1) croissance durable des catégories de snacks en raison des modes de vie nomades, 2) Mondelez génère des revenus de marchés internationaux à croissance rapide.
  • Des relations et ressources bien établies dans le commerce de détail soutiennent l’expansion des marques connues, comme Oreo et Cadbury. Ses marques mondialement connues, à une échelle inégalée, créent un avantage pour les coûts, qui renforce encore sa position concurrentielle.
  • Les snacks sont moins touchés par la concurrence des marques de distributeurs et les hausses de prix ne causent pas de baisse de volume.
  • Les bénéfices devraient croître de 8% durant les cinq prochaines années, tout en offrant un rendement de dividende de 2,6%.

Autre exemple, RELX1, une société britannique qui s’est transformée en un conglomérat d’entreprises leader de services d’information dans les domaines scientifique, technique, médical, juridique et de la gestion des risques.

  • Bénéficie d’un secteur oligopolistique, d’une demande structurelle, d’un haut pourcentage de revenus récurrents (~60%) et de coûts de conversion élevés.
  • LexisNexis est propriétaire d’une base de données qui constitue un fossé concurrentiel dans la profession juridique, avec plus de 144 mia. de documents juridiques. Elle est protégée des outils d’IA tels que ChatGPT, qui exploitent l’internet.
  • Les bénéfices devraient croître de près de 10% durant les cinq prochaines années, tout en offrant un rendement de dividende de 2%.

Constituer un portefeuille d’entreprises présentant des caractéristiques telles que Mondelez et RELX nous semble être une approche judicieuse. Sélectionner quelques entreprises de haute qualité ayant des avantages concurrentiels, un pouvoir de fixation des prix et une croissance stable et prévisible des bénéfices, tout en veillant aux prix, a historiquement produit des rendements supérieurs au marché, avec moins de risques.

2023.10.24.Actions US

2023.10.24.Vontobel funds

 

1. Les entreprises présentées sont des positions du portefeuille Quality Growth Vontobel Funds et sont fournies à titre d’information uniquement pour illustrer notre approche et nos processus de gestion des investissements. Les références à des participations et ne sauraient être interprétées comme une recommandation d’acheter, de détenir ou de vendre un titre particulier. Nulle hypothèse ne saurait être faite quant à la rentabilité ou à la performance de quelque titre que ce soit qui y serait associée.


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