En septembre 2022, soixante ans jour pour jour après le célèbre discours de JFK annonçant que son pays visait la Lune, Joe Biden dotait les États-Unis d’un nouvel objectif, non moins ambitieux : en finir une bonne fois pour toutes avec le cancer. Si la bataille est loin d’être gagnée, plusieurs avancées technologiques donnent bon espoir.

Avec environ 10 millions de morts par an, soit un décès sur six, le cancer demeure l’une des principales causes de mortalité dans le monde. La médecine a pourtant permis des progrès non négligeables : seulement un cancer sur deux était guéri il y a trente ans, contre deux sur trois aujourd’hui. Nous sommes en outre capables de permettre aux malades atteints par des formes graves de vivre plus longtemps, avec une meilleure qualité de vie.

Ainsi, «grâce aux progrès de la médecine, le cancer est aujourd’hui devenu une maladie chronique, avec des patients que l’on traite sur plusieurs années, voire plusieurs décennies», affirme Xavier Bertrand, VP of peripheral intervention business EMEA chez Boston scientific, entreprise américaine des biotechnologies spécialisée dans la production de matériel médical.

Algorithmes contre métastases

La bonne nouvelle étant que les progrès sont loin d’être arrivés à leur terme. Les technologies les plus récentes soulèvent ainsi de nombreux espoirs quant à notre capacité à guérir toujours plus de cancers. Les progrès de l’intelligence artificielle (IA), en particulier, sont d’ores et déjà mobilisés par les professionnels de santé. Les algorithmes de reconnaissance d’image, en particulier, ont connu des progrès spectaculaires au cours des dernières années. Dans les hôpitaux, ils sont désormais employés pour assister les radiologues afin de mieux détecter les cancers.

La société innovante Therapixel, qui commercialise sa solution depuis 2020, en France et aux États-Unis, affirme ainsi permettre aux médecins de réduire entre 30 et 50% le temps nécessaire pour lire les radios. Mais l’IA ne permet pas seulement de gagner du temps : imperméable à la fatigue et aux biais cognitifs inhérents au cerveau humain (par exemple, lorsqu’on repère plusieurs cancers de suite, l’attention peut s’émousser et on peut avoir plus de chances d’en rater un sur la radio suivante), elle permet aussi de réduire le nombre d’erreurs. Therapixel estime ainsi que la généralisation de sa solution à toutes les mammographies effectuées aux États-Unis permettait de détecter 50’000 cancers du sein supplémentaires par an. Une récente étude suédoise démontre quant à elle qu’un radiologue assisté par l’IA est aussi efficace que deux de ses confrères.

L’IA excelle dans la prise en compte de larges jeux de données et l’établissement de corrélations entre ces dernières, à une échelle inaccessible pour le cerveau humain. Cela fait également de cette technologie un outil puissant pour détecter l’apparition d’un cancer très en amont. La société Johnson & Johnson utilise ainsi l’IA pour repérer certains marqueurs génétiques liés à l’apparition du myélome multiple, afin de prendre en charge les patients très en avance et de prévenir ainsi l’apparition de ce cancer. Des chercheurs du MIT ont de leur côté testé l’usage d’une IA nommée Sibyl pour repérer l’apparition d’un cancer du poumon ou du pancréas avec des années d’avance sur un diagnostic traditionnel, ce qui constitue un gain précieux dans la maladie. En effet, plus un cancer est détecté tôt, plus le patient a de chances de guérir.

Le cloud, une pièce indispensable du puzzle

L’intelligence artificielle requiert toutefois des capacités informatiques conséquentes pour fonctionner. D’où l’importance stratégique d’acteurs capables de fournir ces infrastructures technologiques à la recherche médicale. Microsoft a par exemple lancé une offre Cloud For Healthcare, que l’entreprise enrichit régulièrement de nouvelles offres s’appuyant sur son expertise autour de l’IA et des données.

Mais on compte également des acteurs du cloud qui se spécialisent exclusivement dans les applications de santé. Le LYSARC (Lymphoma Academic Research Organization) s’est ainsi associé à la société Veeva, spécialiste américain du cloud à destination des entreprises pharmaceutiques et des biotechs, pour améliorer l’efficacité opérationnelle de ses recherches sur le traitement des lymphomes. Veeva travaille également avec le groupe pharmaceutique PharmaEssentia pour soutenir le déploiement de nouvelles thérapies ciblées sur certaines formes rares de cancer du sang.

«Concernant la conduite des essais cliniques en cancérologie, les laboratoires ont besoin d’outils qui doivent leur permettre de gérer des protocoles cliniques très complexes, avec des populations de patients très spécifiques», explique François Caijo, Directeur de la stratégie France chez Veeva. «C’est ce que propose la suite Veeva Development Cloud, avec des applications connectées, qui facilitent les flux d’informations et de données à travers les équipes cliniques, qualité, réglementaires et de pharmacovigilance. Avec cet ensemble d’outils interconnectés qui répondent aux besoins distincts de l’industrie, les acteurs peuvent ainsi optimiser leurs activités et processus et alors accélérer le cycle de développement et l’innovation.»

Un jumeau numérique pour découvrir le meilleur traitement

Pour aller encore plus loin dans la modélisation et la prédiction, des travaux portent également sur la conception de jumeaux numériques afin de tester l’efficacité de différents traitements dans un environnement virtuel. Il s’agit ainsi de créer un double digital de la tumeur du patient, grâce à un séquençage cellulaire de plus en plus précis, et de tester très rapidement différents scenarii de traitements possibles pour voir celui qui fonctionne le mieux et l’appliquer dans la vie réelle.

Si l’IA est d’ores et déjà utilisée de manière routinière par les hôpitaux, le jumeau numérique constitue encore une technique expérimentale cantonnée pour l’heure au monde de la recherche. Le projet MEDITWIN, qui rassemble Dassault Systèmes, sept Instituts Hospitalo-Universitaires, l’INRIA et plusieurs jeunes pousses, vise à faire avancer la recherche dans ce domaine et bénéficie dans cette optique du soutien de France 2030. En Espagne, plusieurs hôpitaux conduisent des tests pour appliquer cette technologie à la guérison du cancer du sein, tandis qu’aux États-Unis, l’Université de Nebraska-Lincoln s’est dotée d’un Digital Twin Innovation Hub avec une compétition assortie d’un prix pour les chercheurs capables de développer le meilleur modèle.

Techniques non invasives

Outre ces différentes innovations logicielles, plusieurs avancées matérielles permettent aujourd’hui de combattre le cancer avec une plus grande efficacité. Boston Scientific propose ainsi une technologie non invasive qui vient augmenter les chances de rémission des patients, la radiothérapie interne sélective (SIRT). Elle consiste à administrer au patient des microsphères contenant une substance radioactive, l’Yttrium-90, qui sont directement injectées dans les artères du patient, sans qu’une intervention chirurgicale soit nécessaire.

«Par rapport à une radiothérapie traditionnelle, ce traitement très localisé a l’avantage de minimiser les dommages sur les tissus sains qui entourent la tumeur. Il est également beaucoup moins invasif et demande donc moins d’équipement et de préparation», explique Xavier Bertrand. Disponible en Europe et aux États-Unis, la technique est pour l’heure uniquement applicable au cancer du foie, sur lequel Boston Scientific a décidé de se concentrer dans un premier temps pour sa haute mortalité (800’000 victimes annuelles dans le monde) et dans la mesure où les artères qui irriguent le foie sont facilement accessibles. Des essais cliniques sont actuellement en cours pour l’étendre au cancer de la prostate et du cerveau.

La combinaison de ce traitement avec l’immunothérapie ouvre des perspectives particulièrement intéressantes. «L’immunothérapie fonctionne à merveille dans certains cas, mais il existe aussi des patients pour lesquels la réponse du système immunitaire est assez faible. Des recherches conduites actuellement indiquent que l’usage préalable de la SIRT pourrait améliorer cette réponse», affirme Xavier Bertrand. Boston Scientific conduit actuellement des tests avec de grands groupes pharmaceutiques en Europe et aux États-Unis dans cette optique.

Au-delà du cancer

À noter que les thérapies géniques ouvrent des perspectives bien au-delà de la lutte contre le cancer: en décembre dernier, la société Vertex Pharmaceuticals a par exemple obtenu le tampon de la FDA, l’administration américaine des denrées alimentaires et des médicaments, pour un traitement de la drépanocytose, mis en œuvre avec la société CRISPR Therapeutics. Alors que cette maladie a longtemps été incurable, la modification in vitro des cellules souches permet aujourd’hui d’obtenir des cellules saines.

Un traitement qui n’est toutefois encore disponible qu’à toute petite échelle du fait de son coût élevé. Après la validation clinique, la démocratisation est en effet l’autre grand défi qui attend ces traitements de pointe.