Les perspectives, déjà prudentes fin 2017, s’assombrissent malgré des tendances solides en matière de bénéfices à l'échelle mondiale.
Chief Market Strategist
Comme de coutume en fin d’été, voici nos vues actualisées sur l’économie et les marchés par rapport à la fin de l’année dernière. Cette année, nous analyserons également l’évolution naissante de cinq thèmes cruciaux pour les marchés financiers. Nos perspectives, déjà prudentes fin 2017, s’assombrissent, comme le laissaient transparaitre nos récentes vues, malgré des tendances solides en matière de bénéfices à l’échelle mondiale.
Vivre dangereusement, mais vivre malgré tout
Nos perspectives de fin 2017, intitulées «L’année de tous les dangers», commençaient de la manière suivante : «L’année 2018 pourrait être semée d’embûches. Avec l’arrivée à maturité de la phase d’expansion économique, les investisseurs pourraient être confrontés à des choix cornéliens. Compte tenu des politiques budgétaires et monétaires actuelles, le niveau élevé des valorisations et les risques géopolitiques pourraient raviver la volatilité des marchés financiers, la grande absente de ces dernières années.» Excepté la référence au «niveau élevé des valorisations» (nous y reviendrons plus tard), ces lignes étaient un concentré plutôt exact de ce qui s’est déroulé au premier semestre 2018, et nous paraissent un pronostic assez raisonnable pour le second.
Néanmoins, notre prudence était tempérée par l’environnement très robuste des fondamentaux, caractérisé à l’époque par l’évocation quasi-systématique d’une « croissance mondiale synchronisée » par les économistes et les stratégistes. L’un dans l’autre, nos perspectives de fin d’année dépeignaient des conditions positives, mais sans grand potentiel haussier pour les actifs risqués, dans le contexte d’une volatilité globalement plus importante – à supposer que le scénario de croissance mondiale se maintienne. Aujourd’hui cependant, certains signes indiquent que l’assise de cette dernière est peut-être moins solide que nous le pensions alors.
De légers changements
Nous pensons que le second semestre 2018 sera peut-être un peu moins favorable aux investisseurs. Bien que les thèmes dominants n’aient pas radicalement changé, nous prévoyons une dégradation, à des degrés divers, et à commencer par les perspectives de croissance.
#1 – Croissance mondiale synchronisée
Six mois après le début de l’année, le panorama de la croissance mondiale semble se détériorer légèrement. Même si le taux de croissance du PIB réel prévu en 2018 et 2019 reste honorable (3,5%-4,0%), le thème de la synchronisation mondiale commence à se craqueler. Les indicateurs relatifs à la zone euro sont toujours fermement pointés vers le mode expansion, mais le niveau de l’activité s’essouffle: le PMI composite Markit, par exemple, est passé de 58,8 (remarquable) à 54,8 (solide). De même, après une amélioration notable au second semestre 2016 et en 2017, la croissance semble également ralentir au Royaume-Uni, au Japon, en Chine, et plus généralement dans l’ensemble des pays émergents. Seule l’économie américaine bénéficie toujours d’indicateurs au beau fixe. Etant donné que la plupart des grandes économies tournaient à plein régime et au-delà de leur production potentielle à long terme (contrainte par la productivité et l’évolution de la population active), un tassement de la croissance n’a rien d’étonnant. Cependant, ce tournant était attendu par la plupart des économistes pour la période 2019 – 2021, pas en 2018. En résumé, la croissance mondiale est toujours solide, et par conséquent favorable, mais elle est moins robuste et moins synchronisée que prévu.
#2 – Resserrement des politiques des banques centrales
Personne ne dit que les banquiers centraux vont fermer tout de suite le robinet monétaire. Toutefois, la rhétorique des instituts d’émission a changé depuis quelques mois. Jerome Powell, le Président de la Fed, paraît plus déterminé que ses prédécesseurs dans la voie du resserrement monétaire. En Europe, même si les relèvements des taux ne seront pas à l’ordre du jour avant la mi-, voire la fin 2019, la BCE a confirmé sa volonté de neutraliser ses achats d’actifs avant la fin de l’année, ce que certains n’attendaient pas avant l’année suivante. Qui plus est, Mario Draghi a souligné que la situation politique et les problèmes du secteur bancaire en Italie ne feraient pas dévier la banque centrale de son processus de normalisation. Au sein de la Banque d’Angleterre, où l’opinion est divisée, le gouverneur Mark Carney est sur le point de relever les taux cet été malgré les conséquences potentielles du Brexit. Et même la Banque du Japon, à mille lieues de normaliser ses taux directeurs, procède à ce qu’elle appelle un «tapering furtif» en effectuant des achats de JGB (Bons du Trésor Japonais) et d’ETF actions inférieurs à ses objectifs. Au stade actuel, quel est donc le léger changement dont nous parlions ? Le resserrement monétaire favorable attendu avec optimisme par les investisseurs devient désormais un peu plus dangereux.
#3 – Taux et courbe des taux
Nous n’avons jamais cessé de tenter d’apaiser les craintes concernant l’aplatissement de la courbe des taux, pour les raisons suivantes :
- La courbe avait peu de chance de s’inverser dans un avenir proche.
- Il a toujours existé un décalage important et variable (entre 6 et 24 mois) entre inversion de la courbe des taux et récession.
- Pour des raisons techniques ayant trait au QE et aux réserves excédentaires, les coûts du financement bancaire n’augmentent pas du tout aussi vite qu’on pourrait le croire au vu de la partie courte de la courbe.
Nous n’avons pas changé d’avis, mais le simple constat des points 1 et 2 ci-dessus nous rend maintenant plus réservés. Sachant que la croissance ralentit légèrement (#1), ce qui implique que les taux à long terme risquent de ne plus progresser beaucoup dans le cycle actuel, et que la Fed n’a pas l’intention de faire machine arrière, il se pourrait bien que l’inversion de la courbe 2 ans/10 ans des bons du Trésor US ne survienne pas plus tard qu’au 4ème trimestre 2018. En décembre dernier, nos perspectives n’anticipaient pas une telle évolution avant le milieu, voire la fin de l’année prochaine. Pour l’instant, nous ne voulons pas encore paraître alarmistes, mais il semble que l’inversion de la courbe des taux se rapproche, d’où la nécessité d’une surveillance plus étroite.
#4 – Commerce, droits de douane et politique
La situation géopolitique s’est visiblement dégradée au cours des derniers mois. La politique commerciale américaine a pris une tournure moins favorable que prévu, puisque les menaces de droits de douane, que beaucoup considéraient comme de simples outils de négociation, sont maintenant devenues réalité. Sans surprise, les partenaires commerciaux réagissent par des mesures de représailles, et l’on commence à voir des premiers signes de baisse d’activité et de perturbations dans les chaînes d’approvisionnement. En décembre dernier, notre principale crainte sur le front commercial était celle de tensions se propageant sur les marchés financiers (une issue que nous considérions comme assez éloignée), avec des conséquences au niveau des taux et des devises. (Les mesures de la Banque Populaire de Chine pour dévaluer le RMB montrent que c’est précisément ce qui commence à se produire).
Outre-Manche, alors que l’échéance de mars 2019 se rapproche pour l’entrée en vigueur du Brexit, on voit de moins en moins comment Theresa May pourrait éviter une catastrophe une fois le pays sorti de l’Union européenne. L’Italie, elle, ne risque pas (encore) de quitter la zone euro, mais la coalition au pouvoir entre la Ligue et le Mouvement 5 Étoiles n’augure rien de bon pour le budget et pour l’avenir du secteur bancaire. La coalition d’Angela Merkel a été ébranlée, le régime turc fait un nouveau pas vers l’autocratie (tandis que la banque centrale perd son indépendance), et Donald Trump s’en prend aux alliés des États-Unis en se retirant des alliances internationales.* Aucune de ces nouvelles n’est bonne pour les marchés.
[*Nous n’avons pas oublié l’élan d’enthousiasme généré par le sommet Trump/Kim, mais à l’instar de nombreux autres observateurs, nous considérons que cette réunion était un non-événement, sans réelle substance à même de faire évoluer les marchés.]
#5 – Inflation et valorisations
Et maintenant, place aux bonnes nouvelles… La hausse de l’inflation demeurant un risque majeur, en-dehors de l’Indice des Prix à la Production (IPP) américain, peu de signes indiquent une véritable accélération des prix en 2018. C’est important, en raison du lien direct entre la stabilité des prix et le niveau de « danger » que présente le cycle de resserrement mondial de la liquidité. D’autre part, avec une inflation stable, les prix de nombreuses classes d’actifs évoluent dans une fourchette étroite, tandis que la croissance des bénéfices et des flux de trésorerie est solide, ce qui a permis une nette amélioration des multiples de valorisation entre fin 2017 et mi-2018. En-dehors des banques et des valeurs européennes (deux catégories qui se recoupent), nous identifions toujours assez peu de classes d’actifs «bon marché», voire aucune. Toutefois, les PER glissants et prévisionnels sont devenus plus avantageux dans la quasi-totalité des pays et régions, et les spreads de crédit du marché obligataire se sont globalement creusés malgré la solidité de la croissance des chiffres d’affaires et des flux de trésorerie. Peut-on dire pour autant que les marchés regorgent de bonnes opportunités ? Non. Mais dans une certaine mesure, les investisseurs payent ces flux de trésorerie moins cher que l’année dernière. Les valorisations sont devenues un peu plus attrayantes par rapport à l’an passé.
Nuages à l’horizon
Nos perspectives n’ont pas beaucoup changé, mais nous recommandons aujourd’hui un peu plus de prudence en raison de la légère dégradation des variables évoquée ci-dessus. Pour l’instant, l’économie mondiale est encore assez vigoureuse pour soutenir les actifs risqués, à l’image des actions et des secteurs du crédit sur le marché obligataire. Il est donc encore trop tôt, selon nous, pour adopter une opinion baissière. Quoi qu’il en soit, l’horizon s’est assombri ces derniers mois, ce qui nous conduit à répéter qu’à ce stade avancé du cycle, «prudence est mère de sûreté».
Au niveau des actions américaines, la croissance organique des bénéfices (qui n’est pas influencée par les modifications fiscales) devrait se maintenir en 2019 et soutenir les valorisations, que nous attendons en hausse, mais également bien plus instables. Toutefois, la probabilité de gains importants est assez faible en raison de la politique monétaire et de la persistance des risques géopolitiques. D’après nous, un meilleur potentiel haussier (valorisations plus modestes) existe sur les marchés situés en-dehors des États-Unis, mais les actions américaines vont probablement les surpasser jusqu’à ce qu’un événement stoppe la progression du secteur technologique, ou que l’appréciation du dollar commence à rogner les bénéfices.
Sur le marché obligataire, la hausse des rendements rend le risque de taux plus acceptable. Dans le même temps, les spreads de crédit sont toujours assez serrés malgré l’écartement de ces derniers mois. Ces éléments plaident en faveur de portefeuilles mieux équilibrés entre risque de crédit et risque de taux, car aucun d’entre eux n’est suffisamment rémunérateur pour l’instant. Les liquidités ou les produits Cash équivalent, en particulier pour les investisseurs américains, commencent à redevenir une solution plus viable dans la mesure où leurs rendements nominaux ne sont plus inférieurs à l’inflation. Et la présence de réserves est plus utile en cas d’accroissement de la volatilité.
Enfin, nous recommandons de ne pas renoncer aux stratégies alternatives, couvertes et décorrélées en cette fin de cycle. Beaucoup d’entre elles ont sous-performé le marché haussier qui dure depuis neuf ans, mais avec les risques qui s’accumulent, les investisseurs ont tout intérêt à les conserver dans leurs portefeuilles.
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