Normalisation des politiques monétaires des banques centrales, croissance synchronisée pour la première fois depuis dix ans, refonte du système fiscal américain. Voici les éléments qui devraient constituer la toile de fond de la gestion obligataire en 2018.

Trois gérants de portefeuille partagent leurs vues sur l’environnement des investissements, les valorisations et les opportunités de rendement pour les titres de duration courte, les obligations municipales et les fonds obligataires multisectoriels.


Vous pouvez télécharger cet article en pdf (5 pages, en français)


Christopher Harms, Vice President and Portfolio Manager, Loomis, Sayles & Company

En ce début d’année 2018, nous estimons être engagés dans la dernière phase d’expansion du cycle de crédit aux États-Unis. Cela signifie que la croissance des entreprises est en train de se ralentir et que l’endettement s’accroît. La Réserve fédérale (Fed) devrait se maintenir sur la voie d’un resserrement progressif et mesuré des conditions monétaires. La Fed a commencé à réduire son bilan en octobre et anticipe trois relèvements de taux en 2018, qui devraient concerner, en majorité, la partie courte (taux à court terme) de la courbe des taux.

Aplatissement de la courbe des rendements

L’aplatissement de la courbe des rendements (quand il existe peu de différence entre les taux à court et long terme pour des obligations de la même qualité de crédit) a déjà un effet sur le marché obligataire depuis le 30 septembre. Un aplatissement ou une inversion de la courbe des rendements est fréquemment considéré comme un signe annonciateur de récession. Toutefois, nous ne sommes pas de cet avis. Nous devons tenir compte de la présence d’un certain nombre de facteurs techniques sur le marché actuel, notamment sur le marché des bons du Trésor américain marqué par des émissions importantes de bons à court terme et une inflation maîtrisée à environ 2 %.

La demande pour les bons du Trésor américain émane de deux écoles d’investisseurs. Les tenants de la première école, qui considèrent que l’inflation n’est pas un problème, privilégient les bons du trésor à long terme. Par exemple, les fonds de pension contraints par leur passif semblent privilégier des durations longues d’environ 15 ans. L’autre approche consiste à se positionner sur des durations allant de deux ans jusqu’à cinq ans maximum. Dans l’ensemble, le risque lié au court terme nous paraît moins préoccupant en 2018, contrairement aux maturités de 10 à 30 ans, pour lesquelles nous recommandons la prudence.

Dans ce contexte, nous considérons que les rendements des obligations d’État américaines situés sur la partie courte de la courbe (durations de 1 à 5 ans), n’offrent toujours pas beaucoup de valeur de 1,5 % à 2 %. Les titres adossés à des actifs ainsi que les obligations d’entreprise notées AAA de durations courtes nous paraissent en revanche plus intéressants. 2018 devrait également permettre de se concentrer sur des opportunités de sélection des titres, en achetant de nouvelles émissions, en particulier des concessions et des obligations secondaires, qui peuvent offrir des profils de rendement/risque favorables.

Changement de politique à la Fed ?

En février, Jerome Powell remplacera Janet Yellen à la présidence de la Fed. La nomination de Powell ne devrait pas donner lieu à des surprises ni à des revirements majeurs en matière de politique monétaire. Toutefois, jusqu’à cinq sièges de gouverneurs pourraient devenir vacants et de voir être pourvus en 2018. Jusqu’à présent, la Fed a accompli un véritable travail de communication pour informer le marché des mesures qu’elle envisageait de prendre pour désendetter son bilan. Cette démarche a été particulièrement utile sur le marché des titres adossés à des créances hypothécaires (MBS). Nous pensons que les valorisations des titres adossés à des créances hypothécaires commerciales sont à leur juste valeur. Toutefois, tout un pan du marché des MBS nous apparaît sur évalué et n’offre pas une compensation adéquate pour le risque de prépaiement. À l’heure actuelle, nous ciblons les titres assortis d’un risque de prépaiement limité.

 

Des fondamentaux favorables aux États-Unis

James Grabovac, CFA®, Managing Director and Investment Strategist, McDonnell Investment Management

Les fondamentaux économiques restent solides en ce début d’année 2018, et la loi de réforme fiscale adoptée par le Congrès renforce cette perspective. Cela fait déjà 8 ans et demi que l’économie a amorcé sa reprise et est entrée dans une phase d’expansion. Nous prévoyons une poursuite de la croissance à moyen terme.

Bien que le marché de l’emploi américain continue d’enregistrer une hausse de l’emploi, la croissance des salaires reste désespérément atone, en particulier au regard de la phase de maturité du cycle économique et du niveau globalement faible du chômage. L’inflation reste maîtrisée et continue d’osciller sous l’objectif de la Fed de 2%, malgré une reprise des marchés de l’énergie au cours de l’année écoulée.

Taux d’intérêt

Dans ce contexte, les marchés des taux d’intérêt ont été remarquablement stables et sont restés cantonnés dans une fourchette étroite de 60 points de base (pb) tout au long de 2017. Les marchés obligataires se sont caractérisés par un aplatissement des courbes de rendements et une contraction des spreads (la différence de rendement entre les obligations du Trésor et les autres titres de crédit). Les investisseurs se sont principalement efforcés d’accroître leurs revenus par la recherche du rendement, en étant davantage exposés aux maturités longues et en achetant des titres de qualité inférieure.

Le mouvement de hausse des taux a réduit les spreads de qualité et de secteur sur l’ensemble des marchés et s’est accompagné d’un rebond des marchés actions et de niveaux extrêmement faibles de volatilité. Nous pensons que cette tendance se maintiendra, à moins qu’une correction importante ne se produise sur les marchés à risque ou que la Fed ne décide de réduire sa politique monétaire plus vigoureusement que les investisseurs l’anticipent.

La Fed dans une phase de transition

La Réserve fédérale traverse actuellement une phase de transition sans précédent, avec la désignation d’un nouveau président en la personne de Jerome Powell et l’éventuelle nomination de jusqu’à cinq nouveaux gouverneurs par le président Donald Trump après le départ de la présidente sortante de la Fed Janet Yellen en février. Le degré inhabituel de turno ver s’explique principalement par des départs, sachant que les sept postes de gouverneurs ont été créés initialement avec des mandats renouvelables, pour permettre d’éviter la politisation du Conseil. En plus des départs, deux postes sont vacants en raison du refus du Congrès d’approuver deux candidats nommés par le Président du parti opposé. Cet obstacle n’étant plus d’ actualité, le Conseil devrait finir par être constitué.

La Fed est de venue le premier décideur de la politique économique, un rôle auquel le Congrès a largement renoncé depuis la grande récession des années 2007-2012 et sa réaction initiale face au ralentissement économique. La mise en place par la Fed du plancher 0% des taux d’intérêt (zero-lower bound, ZLB) conjointement à son programme de rachats d’actifs à grande échelle, a joué un rôle déterminant pour créer les conditions propices à la reprise. Il est probable, bien que cela ne soit pas une évidence, qu’un Conseil nouvelle version fasse de même en cas de nouvelle récession. Nous continuons d’espérer que l’administration reconnaîtra le rôle vital joué par la Réserve fédérale au moment d’examiner les candidats appelés à siéger au sein de la plus importante banque centrale au monde.

Bilan de l’année pour le marché des obligations municipales

Les marchés des taux ont passé le plus clair de l’année à se remettre du courant vendeur du quatrième trimestre 2016 ; une tendance qui, malgré son intensité, s’est en fin de compte révélée éphémère. Le marché américain des obligations municipales a enregistré de solides performances et a surperformé le marché des bons du Trésor américains sur la majeure partie de la courbe des rendements. L’année a été caractérisée par un nombre limité de nouvelles émissions. Toutefois, la fin du trimestre a donné lieu à un déferlement d’émissions provoqué par le vote par les deux chambres du Congrès de projets de loi de réforme fiscale cherchant à restreindre l’émission des obligations municipales exonérées d’impôts. La performance des obligations municipales a reproduit trait pour trait celle du marché des obligations d’entreprises, tandis que les maturités plus longues et de qualité inférieure ont enregistré les rendements relatifs les plus élevés. La demande a été constante, voire solide, comme l’ont montré les volumes réguliers des entrées de capitaux des fonds américains tout au long de l’année ainsi que l’expansion modérée des positions institutionnelles détenues par des portefeuilles de banques commerciales et de compagnies d’assurance. Les valorisations se sont resserrées par rapport aux bons du Trésor américain, mais sont restées attractives en comparaison des moyennes historiques à long terme.

La réforme fiscale pourrait impacter le marché des obligations municipales

La version finale de la loi de réforme fiscale devrait avoir un impact considérable sur les émissions du marché des obligations municipales. La nouvelle loi interdira aux émetteurs régionaux (États) et locaux de refinancer des encours de dettes à l’aide d’émissions exonérées d’impôts en ayant recours au processus dit de «refinancement anticipé» (Advance Refunding). Le montant de ce type d’émissions varie en fonction de plusieurs facteurs, y compris le niveau général des taux des obligations municipales et des bons du Trésor américain, mais il peut représenter plus d’un quart des émissions annuelles totales pendant des périodes d’activité de refinancement intense.

Les Private activity bonds (PAB), qu’on a proposé d’éliminer de la version présentée devant la Chambre des représentants du projet de loi fiscale, ont été conservées dans la loi finale. Les PAB constituent une part substantielle du marché des obligations municipales et comprennent, entre autres, des émetteurs des secteurs de la santé, du logement, de l’eau et des installations de traitement des eaux usées ainsi que des projets de redéveloppement. Les analystes du secteur estiment que 20 à 40% du financement des nouvelles émissions d’obligations municipales pourraient cesser d’être exonérés si les dispositions relatives au refinancement anticipé et aux PAB sont mises en oeuvre. Inclure l’une ou l’autre de ces dispositions va à l’encontre de l’objectif déclaré de l’administration, qui souhaite créer un vaste programme d’investissement dans les infrastructures, l’un des axes majeurs.

Avant la signature de la loi sur les baisses d’impôts et l’emploi (Tax Cuts and Jobs Act) par le président Trump le 22 décembre 2017, les émetteurs se sont rués sur le marché afin de bénéficier de l’exonération d’impôts avant la fin de l’année. Dans tous les cas, nous anticipons une baisse notable de l’offre au début de l’année 2018.

Quelles perspectives pour ces titres?

Malgré la nouvelle législation fiscale, nous anticipons des conditions relativement favorables en 2018 pour les investisseurs en obligations municipales. Nos prévisions sont fondées sur le maintien de la croissance économique, une inflation stable et une réduction de l’offre d’émissions exonérées d’impôts. Comme nous l’avons mentionné, nous prévoyons une réduction des émissions d’obligations d’entreprise et des obligations municipales au cours de la période à venir. Nous devrions observer une diminution, mais pas la disparition, de la demande en provenance d’établissements concernés par la baisse du taux d’imposition des entreprises. En revanche, nous anticipons un renforcement de la demande en provenance des investisseurs particuliers, surtout dans les États soumis à un fort taux d’imposition, dans la mesure où la suppression potentielle de la déductibilité des impôts régionaux et locaux amplifie la demande des investisseurs désireux de générer des revenus exonérés d’impôts aux niveaux fédéral et des États.

Enfin, en plus de l’impact potentiel des changements apportés au code des impôts, nous pensons que la qualité des fondamentaux des émetteurs de crédit continuera de s’améliorer avec la poursuite de l’expansion économique. Même si certains émetteurs individuels soumis à la pression fiscale continuer ont d’être confrontés à des défis considérables, la plupart des émetteurs devraient être en mesure de s’adapter avec flexibilité et créativité à l’évolution du paysage, tout en continuant de fournir les services de base essentiels au fonctionnement de notre économie.

 

Matthew Eagan, CFA®, Vice President and Portfolio Manager , Loomis, Sayles & Company

Nos perspectives tablent sur une croissance stable de l’économie et un retour de l’inflation. La croissance aux États-Unis et au niveau mondial est en pleine amélioration et les indicateurs de l’inflation américaine sont inférieurs aux projections de la Réserve fédérale (Fed) et aux prévisions du consensus.

La Fed ne nous paraît pas sur la corde raide. Elle souhaite continuer de normaliser sa politique monétaire le plus vite possible. Elle semble être soutenue par l’économie américaine, qui montre elle-même des signes de normalisation. Selon toute vraisemblance, elle devrait procéder à trois relèvements de taux d’intérêt en 2018. Toutefois, l’élément déterminant sera l’ampleur de la remontée de l’inflation. Comme nous l’avons évoqué, tous les indicateurs de l’économie semblent être au beau fixe actuellement, en particulier l’indice des directeurs d’achat (PMI).

Nous pensons que le dynamisme de la croissance économique soutient les actifs risqués et nous continuons de privilégier les opportunités sur les marchés des obligations d’entreprise. Bien que les spreads se soient resserrés significativement et que les primes de risque des marchés des obligations “Investment Grade” et “High Yield” aient chuté, s’accompagnant d’une augmentation des risques baissiers, nous percevons un potentiel haussier étant donné les perspectives de croissance des bénéfices et la faible probabilité de défaut ou de récession.

Avantages du haut rendement

Les valorisations semblent être à leur juste valeur, et compte tenu de la croissance de l’économie, nous anticipons un recul des taux de défaut dans le secteur du haut rendement (High Yield). Nous pensons que la demande globale pour le crédit de haut rendement américain devrait se maintenir, en grande partie grâce à des rendements relatifs attractifs. Lorsque vous examinez une obligation “Investment Grade”, les spreads sont tellement serrés, que le facteur de risque dominant est le risque de structure de durée (le risque lié aux bons du Trésor américain et aux taux d’intérêt). Globalement, dans le secteur des obligations d’entreprise, les titres de haut rendement nous paraissent les plus attractifs, avec un recul des défauts, une hausse des bénéfices et des fondamentaux relativement favorables.

J’ajoute également que l’accroissement de l’endettement et les émissions que nous avons observés au troisième et quatrième trimestres 2017 restent plus dominants dans le secteur des obligations investment grade que du haut rendement. En fait, nous n’avons pas vraiment constaté de hauts niveaux d’émissions au cours des trois dernières années du côté des obligations High Yield.

L’attrait des devises

Le dollar américain est resté faible face à un certain nombre de monnaies de réserve, notamment l’euro, en 2017. Nous pensons toutefois que l’euro est surévalué dans une certaine mesure. En 2018, le dollar américain devrait se renforcer face à l’euro. La dépréciation du dollar américain a été à l’origine du rebond des de vises d’un grand nombre de marchés émergents et développés. Les marchés émergents ont également profité de la recherche de rendement, du sentiment du risque positif et de l’amélioration des fondamentaux. Nous sommes persuadés que la dette émergente en devise locale continue de recéler de la valeur et nous restons sélectifs dans notre choix de titres, tout en ciblant des rendements réels attractifs.

Globalement, les thèmes d’investissement qui nous paraissent pertinents pour la gestion obligataire en 2018 sont: la diversification accrue, la génération de revenus, l’abaissement de la duration et la réduction de la sensibilité aux mouvements des taux d’intérêt.


Vous pouvez télécharger cet article en pdf (5 pages, en français)