Divergence, dilemmes et débats
- La synchronisation économique a cédé sa place à la divergence.
- Aux États-Unis, la persistance de l’inflation bride les velléités d’assouplissement de la Réserve fédérale (Fed). La BCE a fait un premier pas hésitant mais poursuivra le mouvement au S2. Au Japon, la faiblesse du yen devrait forcer un réajustement du policy mix. En Chine, l’éternel dilemme entre indépendance monétaire et stabilité des changes atteint un nouveau paroxysme.
- La fragmentation géopolitique, sur fond de campagne électorale américaine tendue, devrait s’accélérer et menace la valorisation élevée des actifs risqués.
- La trajectoire des marchés financiers ne devrait pas être aussi linéaire qu’au cours des six derniers mois.
- Dans cet environnement, avec le risque de nouveaux chocs d’offre inflationnistes en 2025, les maturités à court terme des obligations d’État, le crédit et une stratégie «barbell» combinant des couvertures contre l’inflation et une sélection des actions de qualité à faible risque sont privilégiés.
Perspectives économiques – Raphaël Gallardo, économiste en chef
« 2024 a commencé sur une note optimiste, mais les espoirs d’une reprise synchronisée se sont estompés. »
Différents degrés de persistance de l’inflation et de résistance du marché du travail ont conduit à une divergence de la croissance des salaires réels dans les pays développés : accélération continue au Royaume-Uni et dans la zone euro, décélération au Japon et aux États-Unis. La synchronisation ne prévaut plus que dans le redressement du cycle manufacturier, confirmé par les dernières enquêtes auprès des entreprises en Corée du Sud, à Taïwan, en Allemagne et en Suède.
Aux États-Unis, l’essoufflement du consommateur devrait être en partie compensé par la résurgence de l’investissement, stimulée par les politiques industrielles (relocalisation, décarbonation), la course à l’armement et à l’intelligence artificielle (IA). Par conséquent, un atterrissage en douceur incomplet reste notre scénario central ; une fenêtre étroite est ouverte pour deux réductions des taux de la Fed cette année. Toutefois, le ralentissement cyclique signifie que l’économie sera un handicap pour M. Biden lors de l’élection de novembre. Une victoire républicaine entraînerait des politiques de stagflation (tarifs douaniers, déportations et réductions d’impôts non financées, même si la déréglementation stimulerait la croissance potentielle).
L’embellie se confirme dans la zone euro. La désinflation due aux effets d’offre et le rattrapage différé des salaires par rapport à la période inflationniste précédente permettent à la Banque centrale européenne de réduire les taux, et ce dans une reprise naissante des exportations et de la consommation. Le virage à droite des élections européennes sera un revers pour l’agenda écologique, mais accélérera les efforts de relocalisation grâce à une politique anti-Chine renforcée.
Au Japon, les espoirs de reflation post-Covid pourraient se solder par un autre faux départ. La faiblesse du yen fera une nouvelle victime parmi les Premiers ministres japonais en septembre. La dépréciation du yen lamine le pouvoir d’achat des consommateurs dans une économie où la facture des importations de matières premières représente 10% du PIB et où les biens et services publics composent 50% du panier de l’IPC[1]. Seule une politique économique de yen fort est à même de créer le cercle vertueux d’une croissance tirée par la consommation. Après l’échec des interventions sur le marché cambiaire du mois de mai, la Banque du Japon pourrait opter pour une accélération de la contraction de son bilan.
L’économie chinoise continue de donner le change d’une croissance à 4% grâce aux mesures de relance à court terme, mais les moteurs des “nouvelles forces productives de qualité” donnent déjà des signes d’essoufflement : exportations sous la coupe d’un protectionnisme grandissant en Occident, saturation de l’endettement d’un secteur industriel hypertrophié. À moyen terme, la politique étrangère de Xi est tout simplement incompatible avec le modèle de développement actuel axé sur les exportations. Pire, la Chine a besoin de taux réels négatifs pour éponger ses dettes internes, mais la dévaluation du yuan qui s’ensuivrait déclencherait une nouvelle réaction protectionniste dans le reste du monde.
Au-delà de ces trajectoires nationales à horizon fin d’année, la géopolitique imprimera une marque croissante dans les destinées économiques du monde. Une nouvelle guerre froide oppose les Etats-Unis et leurs alliés à une coalition baroque regroupant Chine, Russie et Iran. Cet affrontement hybride se manifeste par une guerre commerciale et financière, doublée d’une course aux armements conventionnels et aux nouvelles technologies. Nous nous attendons à une escalade des tensions au cours du second semestre. Ce nouveau paradigme géopolitique alimente les risques de chocs d’offre inflationnistes, mais mobilise également un cycle de dépenses d’investissement dans la mesure où les lignes de front précitées révèlent toutes le besoin urgent de réindustrialisation à l’Ouest ».
Stratégie d’investissement – Kevin Thozet, membre du comité d’investissement
« Le niveau élevé des taux d’intérêt réels, les premiers signes de ralentissement et la possibilité d’un « Fed Put » si l’économie devait se détériorer fortement, plaident en faveur d’un renforcement progressif de l’exposition aux taux d’intérêt. »
La position accommodante du président Powell, servant l’assouplissement des conditions financières malgré la position officielle de « taux élevés pour plus longtemps », illustre l’asymétrie de la fonction de réaction de la Fed: si l’inflation augmente, elle maintiendra les taux de politique monétaire sur leur niveau actuel. Et si l’emploi se détériore, elle les abaissera.
Sur les marchés de la dette souveraine, les maturités à deux ans sont privilégiées. Les taux de long-terme pourraient sous-performer compte tenu de l’optimisme ambiant quant à la trajectoire désinflationniste à venir et de l’importance des émissions de dette publique à l’heure où les autorités monétaires cherchent à réduire leurs bilans tout en procédant à des baisses de taux préventives. Sur les marchés du crédit, les primes de risque sont revenues sur des niveaux historiquement bas. Par le passé, la combinaison de rendements obligataires faibles et de primes de crédit modestes a été défavorable pour la classe d’actifs, mais l’environnement actuel de rendements obligataires relevés implique que les «spreads» de crédit agissent comme un catalyseur de performance pour les investisseurs et mais aussi comme un amortisseur de volatilité.
Historiquement, dans un environnement où les prix des actions et des obligations étaient négativement corrélés, les avantages de la diversification entre des actifs «à risque faible» et des actifs «risqués» ont servi la construction de portefeuille. La théorie moderne du portefeuille[2] a épaulé les investisseurs pendant de nombreuses années. Mais le monde a changé. La corrélation entre les prix des actions et des obligations est devenue positive à mesure que la nature de l’inflation s’est métamorphosée. Le risque est de voir l’inflation actuelle alimentée par une insuffisance d’offre (chocs sur les matières premières, disruptions des chaines d’approvisionnement, embargos…) et non par un excès de demande, c’est pourquoi la frontière efficiente chère à Markowitz n’est plus convexe mais concave, annihilant les bienfaits de la diversification traditionnelle.
Ainsi, afin de réintroduire une source de diversification dans leurs portefeuilles, les investisseurs doivent détenir des couvertures contre l’inflation telles que des matières premières dont l’or, ou encore des actions faiblement valorisées. Mais ces instruments financiers sont également des actifs à forte volatilité. Ils contribuent à la décorrélation mais ne sont pas sans risque. Par conséquent, cela doit être compensé par des investissements sur des actions de qualité à «risque faible» que l’on trouve plus particulièrement au sein des très grandes capitalisations des secteurs de la technologie et de la santé qui bénéficient à la fois d’une forte croissance bénéficiaire et d’une position oligopolistique.
Une stratégie de «barbell» peut contribuer à la gestion du risque de corrélation des actifs traditionnels. Une telle approche peut être mise en œuvre au sein de divers thèmes tout à fait prometteurs. Dans le domaine de l’IA, nous combinons investissements en actions sur l’ensemble de la chaîne de valeur des semi-conducteurs et investissements en actions au sein de secteur moins affectionnés comme les services aux collectivités ou l’énergie – qui néanmoins bénéficieront des besoins d’électrification massifs : la «nouvelle économie» a déjà un retentissement sur l’ «ancienne économie». L’Europe est à part compte tenu des perspectives d’une reprise cyclique pas encore inflationniste. La région compte des leaders mondiaux dans les secteurs de la santé et de la consommation, et propose des valorisations attractives plus exposées au cycle économique. Nous cherchons également à tirer profit de l’ambivalence des investisseurs envers le «favori» et «le plus mal aimé» des marchés émergents. L’Inde – la favorite – dispose d’un potentiel de croissance économique supérieur stimulé par les dépenses d’investissement, le pays bénéficie des stratégies commerciales dites «Chine Plus Un » d’entreprises cherchant à diversifier leurs investissements dans le sous-continent. Cela devrait se traduire par une croissance des bénéfices durable. Alors qu’en Chine – la mal-aimée – les quelques 5 000 entreprises qui y sont cotées constituent un vaste terrain d’opportunités de valeurs très décotées.
À court terme, la parité des risques traditionnelle devrait servir à la construction de portefeuille, mais à plus long terme, c’est la parité des risques inflationnistes qui devrait prévaloir. Cette évolution doit être intégrée dès maintenant dans les stratégies d’investissement.
[1] Source: Bloomberg, Juin 2024
[2] Dont le père est Harry Markowitz
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