Jadis lancés exclusivement par les gouvernements pour des missions scientifiques, les satellites sont aujourd’hui massivement déployés par de jeunes pousses afin d’offrir des images fréquemment actualisées de la surface terrestre. Un écosystème dynamique aux possibilités multiples.

Début août, des images prises par les satellites de la société Planet, basée à San Francisco, montraient que les mercenaires du groupe Wagner avaient entamé la construction d’un camp fortifié en Biélorussie, confirmant les soupçons occidentaux selon lesquels l’organisation paramilitaire russe serait en train de s’implanter dans le pays.

Depuis le début du conflit ukrainien, l’imagerie par satellite a permis au monde entier de suivre son déroulement au jour le jour. Cette technologie est en effet devenue un puissant outil pour suivre en temps réel des évolutions à l’œuvre dans le monde entier, avec des possibilités qui vont bien au-delà des applications militaires, touchant également à l’intelligence économique, à la finance et à la protection de l’environnement.

L’œil dans le ciel

L’imagerie par satellite n’a certes rien d’une nouvelle technologie. Les premiers appareils capables de prendre des images de la surface terrestre sont mis en orbite dès les années 1960: utilisés en premier lieu pour les prédictions météorologiques, il s’agit de gros appareils (de la taille d’un van) placés en orbite géostationnaire, d’où ils peuvent voir environ un tiers de la surface terrestre et analyser les mouvements des nuages. Dans les décennies suivantes, d’autres appareils, toujours volumineux et coûteux, sont placés en orbite plus basse, à environ 800 km de la surface terrestre, pour prendre des images en haute définition de celle-ci. Peu nombreux, ces appareils doivent parfois attendre plusieurs jours pour prendre un second cliché de la même zone: on parle, pour cet écart, de taux de revisite.

Mais à partir du début des années 2000, de jeunes pousses de l’aérospatial emmenées par des entrepreneurs, en tête desquels la société Planet, changent la donne. Celle-ci s’appuie sur une flotte d’environ 200 satellites qui, eux, font la taille d’une boîte à chaussure, et sont déployés en orbite basse (400 km environ). Ils peuvent ainsi couvrir une surface beaucoup plus large : Planet peut prendre entre cinq et sept clichés de la même zone par jour, chiffre qui devrait passer à douze lorsque sa nouvelle flotte sera opérationnelle. À la suite de Planet, d’autres acteurs comme l’américain Maxar se sont également lancés sur ce créneau.

2023.08.24.Commercial satellite

«Traditionnellement, les satellites d’observation de la terre étaient conçus, construits et lancés dans un but scientifique par des agences gouvernementales. Mais la dernière décennie a vu l’essor d’entreprises commerciales financées par des fonds privés, c’est ce qu’on appelle la révolution du “NewSpace”. En mai 2022, sur les 5 467 satellites en orbite, 20% étaient spécialisés dans l’observation de la terre, dont plus de 50% détenus par des entreprises commerciales. Le marché de l’observation terrestre croît à vive allure et devrait atteindre 4,6 milliards d’euros d’ici 2031, selon l’Union européenne», affirme Aravind Ravichandran, spécialiste de l’industrie et fondateur de l’entreprise de conseil TerraWatch Space.

Outre un taux de revisite plus élevé, ces constellations ont un autre avantage sur leurs grandes sœurs : le coût, selon Serge Plattard, directeur fondateur de l’European Space Policy Institute (ESPI). «On parle d’appareils très bon marché: contrairement à leurs homologues de grande taille, ils sont conçus à l’aide de matériaux basiques et coûtent donc beaucoup moins cher à produire. Du fait de leur petite taille, ils sont aussi moins coûteux à mettre en orbite, pouvant être lancés par grappes depuis des fusées ou via la Station Spatiale Internationale. Ils peuvent donc être remplacés plus facilement : si votre satellite meurt au bout d’un an, ce n’est pas dramatique, vous en envoyez un autre en orbite.»

Des images en or 

Ce taux de revisite qui ne cesse de croître ouvre la possibilité de suivre avec davantage de précision l’évolution d’un environnement spécifique et les transformations qu’il subit. Pour cette raison, les flottes déployées en orbite basse sont notamment mobilisées au service de la protection de l’environnement. «On peut effectuer un suivi des activités de minage illégales, ou encore détecter certaines activités de pêche dans des zones protégées. C’est aussi une bonne manière de suivre attentivement l’évolution des feux de forêt», précise Sami Yacoubi, cofondateur de SpaceSense, une jeune pousse qui aide les entreprises à utiliser les possibilités offertes par l’imagerie par satellite.

L’agriculture est un autre secteur pouvant bénéficier de cette révolution au sein de l’imagerie par satellite. Celle-ci permet notamment de mieux surveiller l’évolution des parcelles agricoles pour identifier celles qui se développent mieux que les autres et sur lesquelles on peut donc appliquer moins de pesticides et de fertilisants. Mais aussi de suivre le niveau d’humidité des sols pour optimiser la gestion de l’eau, le tout pour beaucoup moins cher qu’en utilisant des capteurs dans le sol. SpaceSense développe également ce type d’applications.

Enfin, les constellations en orbite basse offrent également la possibilité de rassembler des données plus précises au service de la finance et de l’intelligence économique. On peut ainsi mettre en valeur de nouvelles données et établir des corrélations. Le nombre de voitures présentes sur le parking d’une chaîne de magasins peut par exemple fournir des indications sur la bonne santé économique de celle-ci, informations qui peuvent ensuite être mobilisées par la finance.

L’analyse des flux de marchandise est également facilitée, ce qui, là encore, apporte des informations précieuses à la sphère financière : il devient par exemple possible de traquer avec précision et en continu le trafic des porte-conteneurs, les embouteillages devant un port international ou encore la quantité de camions sur les routes dans une région donnée, autant d’informations susceptibles de venir enrichir la prise de décision économique.

Enfin, on peut également mesurer des données invisibles pour dresser des corrélations inédites. «Avec des satellites qui ne regardent pas seulement le spectre optique, mais aussi l’infrarouge, il est possible d’analyser la température d’une ville, quartier par quartier, une montée de chaleur dans certaines zones pouvant être un signe de dynamisme économique, car liée au trafic des camions ou à la construction d’un nouveau site industriel», note Serge Plattard.

Tout un écosystème à construire

Les répercussions économiques positives de l’imagerie par satellite sont également dues, indirectement, à la nécessité de construire tout un écosystème pour en tirer tous les bénéfices. Pour mettre des satellites de petite taille en orbite, on peut très bien utiliser des fusées classiques, mais des fusées de petite taille, plus économes en carburant et susceptibles d’être lancées à plus haute fréquence, sont plus adaptées: c’est la raison d’être de l’entreprise américaine Rocket Lab.

Ces satellites génèrent d’immenses quantités d’images, qu’il faut trier pour évacuer celles qui sont inutilisables (car trop floues, prises sur un ciel nuageux, etc.) puis analyser pour en extraire la substantifique moelle et développer des cas d’usage concrets : un travail pour lequel l’intelligence artificielle est on ne peut plus adaptée. On voit ainsi fleurir les entreprises proposant des algorithmes taillés pour analyser l’imagerie par satellite. C’est le cas de la jeune pousse Orbital Insights. Lockheed Martin propose également depuis 2019 un service allant dans ce sens.

Enfin, on voit également apparaître des startups qui construisent des véhicules spatiaux capables de transporter plusieurs petits satellites jusqu’à la bonne orbite, comme le français Exotrail, proposent un service de maintenance pour allonger la durée de vie des satellites (Infinite Orbits), ou encore nettoyer les débris des satellites arrivés en fin de vie (CleanSpace). Des outils financiers pour investir se mettent également en place, comme l’ETF iShares U.S. Aerospace & Defense. Vers l’infini et au-delà!