Mabrouk Chetouane et Bo Zhuang analysent les conséquences immédiates de la politique tarifaire de Trump et leurs impacts potentiels à long terme.

Mabrouk Chetouane

Dans un climat de tensions commerciales croissantes, les droits de douane sur les biens chinois atteignent des niveaux records, soulevant des questions cruciales sur l’impact économique en Chine et les réactions potentielles de Pékin. Mabrouk Chetouane, Responsable de la stratégie de marchés chez Natixis Investment Managers, s’entretient avec Bo Zhuang, stratège macroéconomique mondial pour l’Asie chez Loomis Sayles, pour analyser ces enjeux.

Mabrouk Chetouane : Le taux de droits de douane sur les biens chinois s’élève actuellement à 145%. Quel impact cela a-t-il sur l’économie chinoise? Et peut-on s’attendre à ce que la Chine impose d’autres barrières non tarifaires en représailles?

Bo Zhuang

Bo Zhuang : Tout d’abord, parlons de l’impact sur le PIB. Des droits de douane supérieurs à 100% sont déjà prohibitifs et pourraient théoriquement faire chuter la croissance du PIB de jusqu’à 2%. Cependant, nous ne verrons probablement pas cet effet total. Il est probable que nous assistions à un redéploiement des exportations. Nous estimons qu’environ un tiers des exportations peut être rapidement remplacé, et nous nous attendons donc à ce qu’il disparaisse immédiatement. Un autre tiers des exportations risque de diminuer d’environ la moitié. Les 30% restants des exportations chinoises ne disposent pas de substituts faciles. En d’autres termes, il est peu probable que les États-Unis trouvent une alternative dans les six mois. Je pense donc que la baisse du PIB sera plutôt d’environ 1,5% étalée sur les 12 prochains mois. Au-delà de cette période, cette tendance pourrait se poursuivre, car d’autres pays émergents compenseront, et les entreprises chinoises pourraient investir à l’étranger, notamment au Vietnam et au Mexique, afin de minimiser l’impact des différents taux de droits de douane. En conséquence, nous devrions constater un impact significatif sur l’investissement manufacturier domestique en Chine. De plus, l’investissement direct étranger net de la Chine va passer d’un retour positif à un retour négatif. Les entreprises chinoises pourraient également délocaliser leur production pour répondre aux besoins des États-Unis, ce qui représente un frein à moyen terme.

MC : Quelle sera la prochaine étape pour la Chine?

BZ : Je pense que la Chine se prépare à un affrontement prolongé. Il est peu probable qu’elle accepte de signer un accord dans les mois à venir. Lorsque les droits de douane étaient de 10 ou 20%, il y avait un incitatif à négocier pour retarder les hausses tarifaires. Maintenant que les droits de douane sont à ce niveau, je ne vois pas comment la Chine pourrait accepter de signer un accord avec des tarifs de 100% ou même de 50%.

Deuxièmement, la Chine a publiquement déclaré qu’elle ne savait pas ce que Trump veut. Ils ne savent donc pas par où commencer les négociations. Par conséquent, je crois que nous ne verrons pas d’accord cette année. Je pense qu’il y a 50% de chances d’en voir un en 2026; même si des négociations commencent, il est trop tôt pour prévoir quoi que ce soit cette année. Il est également probable que la Chine poursuive ses mesures de représailles non tarifaires, qui ressemblent en fait à ce que les États-Unis ont déjà mis en place. Par exemple, imposer des droits de douane sur les terres rares est similaire aux droits de douane que les États-Unis appliquent sur les puces d’IA. Il est également possible que la Chine commence à utiliser activement ses lois antimonopole pour nuire aux entreprises américaines en Chine. Le problème, c’est qu’il est difficile d’évaluer l’impact de ces mesures non tarifaires sur la croissance. Il est plus probable que cela ait un impact sur le marché boursier, et nous allons suivre cela de près.

MC : Compte tenu de ce que vous venez d’énoncer, y a-t-il un risque que la Chine entre dans une période de « japonisation », c’est-à-dire une croissance faible et une inflation couplées à des taux d’intérêt très bas, comme cela a été le cas au Japon depuis le début des années 1990 après des décennies de croissance rapide? Ne serait-il pas opportun pour le gouvernement d’adopter une politique budgétaire agressive, surtout dans le contexte d’une guerre commerciale agressive?

BZ : Je pense que c’est le bon moment. À mon avis, la Chine lancera un « bazooka fiscal » plus tard cette année. Je crois que la Chine est sur la voie de la japonisation. Mais définissons d’abord ce qu’est la japonisation: c’est une longue période de faible inflation ou d’inflation négative, durant laquelle le secteur exportateur japonais s’est déplacé à l’étranger, tandis que le gouvernement a mis en œuvre de petits plans de relance sans laisser le secteur bancaire s’ajuster, tout en laissant simultanément la monnaie s’apprécier.

La Chine anticipe clairement l’avenir. Elle a étudié ce qui s’est passé au Japon, et l’une des raisons pour lesquelles je pense qu’elle est si ferme dans sa résistance aux demandes américaines est qu’elle craint de suivre un chemin similaire. La leçon qu’ils ont tirée est que l’une des raisons pour lesquelles le Japon a connu la japonisation est qu’il a cédé à la guerre commerciale avec les États-Unis, en permettant par exemple l’Accord du Plaza, permettant ainsi au yen de s’apprécier et à sa capacité d’exportation de se déplacer à l’extérieur, ce qui a essentiellement vidé sa capacité industrielle domestique.

C’est ainsi que la Chine réfléchit. Comment rester compétitive dans le domaine des exportations ? Elle doit investir davantage pour s’assurer que, quoi qu’il arrive, ses produits demeurent compétitifs à l’échelle mondiale. Comment la Chine a-t-elle survécu lors de la première phase de Trump avec des droits de douane de 10% et 25% ? Elle a investi davantage et adopté une approche à long terme en vendant des biens sur les marchés émergents. Je pense que la Chine continuera d’adopter une approche similaire.

Cela dit, le « bazooka fiscal » que j’évoque sera très différent de ce que les marchés attendent. Historiquement, lorsque l’on parle de stimulation de la consommation en Chine, cela a tendance à profiter à d’autres marchés émergents en augmentant les achats de matières premières. Cette fois-ci, l’impact global sera moins important. L’objectif sera de renforcer la croissance domestique autour de 4-4,5%, afin de négocier avec les États-Unis d’une position de force. Pour cela, la Chine investira davantage dans des secteurs comme l’intelligence artificielle et la consommation intérieure, en utilisant des mécanismes comme les pensions pour les personnes âgées et les subventions à la natalité, qui visent ostensiblement à encourager la naissance d’enfants mais qui représentent en réalité un stimulus à la consommation déguisé.

MC : Passons à un sujet légèrement différent. La récente tournée de Xi Jinping dans les pays voisins pour présenter la nouvelle monnaie numérique de la Chine s’inscrit parfaitement dans la stratégie à long terme de Pékin visant à renforcer son autonomie vis-à-vis des États-Unis en concluant des accords commerciaux et en consolidant ses relations commerciales avec d’autres pays asiatiques. Nous observons quelque chose de similaire en Europe. Comment envisagez-vous l’évolution des relations entre la Chine et l’Europe?

BZ : Je pense que l’UE et la Chine ont des objectifs similaires concernant la guerre tarifaire, mais je ne crois pas qu’il s’agisse d’une véritable alliance. Ils partagent plutôt un objectif temporaire de contraindre les États-Unis à reculer. Un bon exemple est la discussion sur le remplacement de l’actuel tarif européen sur les véhicules électriques chinois par une politique de prix minimum. Je pense que la Chine interprétera cela comme un geste amical. En ce qui concerne le dumping, ce n’est pas une préoccupation immédiate. En effet, les exportations chinoises vers les États-Unis représentent environ 3% du PIB. Si nous estimons qu’un tiers de cela est immuable, il ne reste qu’à trouver un marché pour deux tiers de ce montant, soit environ deux points de pourcentage du PIB. Si l’on considère que la Chine cherchera à stimuler la demande intérieure (en augmentant les subventions à la consommation), elle pourra probablement absorber environ 1 à 1,5 point de pourcentage, ce qui signifie que le reste du monde n’aura besoin d’absorber qu’environ 0,5 point de pourcentage du PIB chinois, ce qui est en ligne avec la façon dont la Chine s’est développée ces dernières années.

Je pense que le problème plus important est que, tandis que la Chine n’a pas l’intention de réduire sa production, le reste du monde augmente également sa capacité de production. Au niveau mondial, la capacité de production s’accroît plus rapidement que la demande, car tout le monde cherche à produire davantage.

MC : Craignez-vous que nous nous trouvions dans une situation où l’offre excédentaire entraîne une instabilité?

BZ : Si nous extrapolons trop loin, oui, nous risquons une crise. Cependant, c’est une préoccupation à long terme, peut-être dans cinq à dix ans. Mais sur les deux à trois prochaines années, une tendance est certaine: une inflation plus élevée aux États-Unis et une inflation plus faible dans le reste du monde.

Achevé de rédiger en Avril 2024

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