Face à l’invasion de l’Ukraine, de nombreuses sanctions ont été prises afin d’isoler la Russie du reste du monde, avec pour objectif d’affaiblir économiquement le pays, à défaut d’intervenir militairement.

Les principales résolutions ont porté sur:

  • ROTHSCHILD AM - Didier Bouvignies
    Didier Bouvignies, Associé-Gérant & Directeur des gestions

    La décision du G7 de sanctionner la Banque centrale russe via le gel de ses réserves (potentiellement supérieures à 400 milliards d’euros).

  • Le bannissement des banques russes de SWIFT(1), à l’exception de deux établissements financiers très liés au secteur des hydrocarbures.
  • Des sanctions vis-à-vis d’entreprises du secteur de la défense, de l’énergie, des transports et des télécommunications, qui ne pourront plus importer de technologie européenne ou américaine.
  • Le gel des avoirs des oligarques russes, dont Vladimir Poutine lui-même.
  • Des livraisons d’armes destinées à l’Ukraine d’une valeur de 450 millions d’euros et d’équipements de protection et médicaux à hauteur de 50 millions d’euros, tous deux financés par une “Facilité européenne pour la paix” et le Fonds européen intergouvernemental. Cet investissement étant hors du budget commun de l’Union européenne, la Commission européenne n’est pas directement concernée.

Il est à noter, qu’à ce stade, les exportations de pétrole et de gaz n’ont pas fait l’objet de sanctions, en raison de la forte dépendance de plusieurs pays européens aux hydrocarbures russes.

Au niveau des États, la Suisse a suspendu sa neutralité en appliquant les mêmes mesures que l’Union européenne. De son côté, la Chine, partenaire stratégique de la Russie, s’est abstenue lors du vote au Conseil de sécurité de l’ONU d’une résolution qui “exige que la Russie cesse immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine”. On notera, tout de même, le changement de ton récent du gouvernement chinois qui appelle désormais à un cessez-le-feu. La poursuite d’un dialogue diplomatique entre les deux belligérants est engagée, même si les espoirs d’accords semblent, pour l’heure, illusoires.

Comment ont réagi les marchés?

Bien que les sanctions ne concernent pas les exportations de produits énergétiques, le risque d’escalade de ces représailles laisse craindre des perturbations majeures dans l’approvisionnement du pétrole et, surtout, de gaz, le marché des matières premières s’étant enflammé au cours des derniers jours.

Au niveau du marché des taux, la Banque centrale russe a relevé très fortement son taux directeur de 9,5% à 20% afin de lutter contre la chute du rouble, la devise russe ayant perdu 10% de sa valeur la semaine dernière et 26% cette semaine. En Europe, l’ensemble des taux courts ont baissé, avec notamment une chute de 40 points de base (pdb) du taux à 2 ans allemand par rapport à début février (à -0,65%), ainsi qu’une baisse notable du taux 10 ans (Bund), clôturant en territoire légèrement négatif, proche des 0%. La journée du 1er mars pouvait déjà être considérée comme historique, avec une chute de 20 pdb du Bund en seulement 24 heures, un phénomène non observé depuis 2011 et 1994, deux périodes où les taux étaient positifs, respectivement à 2,2% et 7,0%. À cette situation, s’ajoute une hausse de l’inflation anticipée dans les obligations indexées de 2,3% et une baisse des taux réels “pulvérisant” le plus bas historique, à 2,4%, le marché des taux semblant vouloir intégrer dans ses cours une situation de stagflation(2) .

Concernant le marché d’actions, le marché des ETF d’actions russes cotés à Londres a enregistré une chute vertigineuse de 80% à partir du 22 février. En conséquence, la bourse de Moscou a été fermée le 28 février et les rachats sur les fonds exposées au marché russe ont été suspendus. Nous constatons également une sous-performance des actions de la Zone euro et des pays émergents, en opposition à une surperformance des États-Unis(3). D’un point de vue sectoriel, les valeurs de croissance surperforment actuellement les titres Value(4), en raison, notamment, de la baisse des taux réels : les banques, l’automobile et les loisirs étant fortement impactés, contrairement aux matières premières et à l’énergie qui se maintiennent plutôt favorablement.

Quel sera l’impact économique pour la Russie et au niveau mondial?

Pour l’économie russe, les conséquences sont sévères, avec un effondrement du rouble qui alimente une inflation s’élevant actuellement à 9%(5) et une hausse brutale des taux décidée par la Banque centrale russe (de 9,5% à 20%). Sur le plan international, l’impact sur les échanges devrait être faible, l’économie Russe ne pesant que 1,2% du PIB mondial et 2,9% de la Zone euro. L’incidence devrait donc se révéler modeste sur l’économie globale (de l’ordre de 0,2%), les États-Unis et la Chine se étant relativement immunisés face à ce conflit européen(6).

Les répercussions se feront essentiellement ressentir sur le prix des matières premières. En effet, la Russie représente environ 12% de la production de pétrole, 16% du gaz et 11% du blé à l’échelle mondiale. Il s’agit d’un des plus grands exportateurs d’énergie, dont 60% est à destination de l’Europe et 20% vers la Chine(7). L’impact sur l’inflation semble donc inévitable, alors que les inquiétudes sur son caractère temporaire se faisait déjà pressantes, avec une hausse de 5,8% sur un an en Zone euro, atteignant même 7,4% en Espagne(5).

Les conséquences de cette crise s’avèrent donc plus importantes pour l’économie européenne du fait de cette dépendance énergétique (de l’ordre de 1% selon certains économistes(8)). Néanmoins, le risque d’une crise financière majeure ne semble pas perceptible en raison de la faible exposition des établissements financiers à la Russie. Ces évènements auront vraisemblablement pour conséquence davantage de modération de la part des principales banques centrales dans leur processus de resserrement monétaire, notamment la BCE, en raison de sa plus forte exposition.

Quelles options pour une sortie de crise?

L’invasion de l’Ukraine représente une telle agression, qu’une sortie de crise permettant à chaque partie de “sauver la face” apparaît de plus en plus incertaine. D’autant que Vladimir Poutine semble décider à passer à une phase plus dure, dont le bilan humain pourrait se révéler beaucoup plus lourd aussi bien pour les civils que pour les forces armées russes. En outre, il devient de plus en plus complexe pour le Président russe d’atteindre son objectif sans remplacer le Gouvernement en place par un gouvernement pro-russe, tant ses exigences paraissent difficilement acceptables par les autorités ukrainiennes.

De quoi la Russie pourrait-elle se satisfaire ? D’une promesse de non-adhésion de l’Ukraine à l’OTAN ? D’un référendum voué à aboutir à une autonomie ou indépendance de certains territoires à l’Est du pays ? L’Ukraine serait-elle alors prête à renoncer à sa souveraineté sur ces territoires ?

Ces questions restent ouvertes et, pour l’instant, les réponses semblent plutôt défavorables à écouter la demande d’adhésion accélérée à l’Union européenne formulée par le président ukrainien, Volodymyr Zelensky. De plus, au travers des sanctions, l’Occident cherche à nourrir la contestation en Russie en affaiblissant son économie par la baisse du rouble, la montée de l’inflation et la perte de pouvoir d’achat des ménages, d’une part, et à affecter la fortune des oligarques pour qu’ils exercent une influence sur Vladimir Poutine, d’autre part.

Ces décisions pourraient inciter le maître du Kremlin à maintenir le dialogue en vue de négociations, même s’il se révèle isolé et probablement déterminé à ne pas perdre la face à 69 ans.

Quelles perspectives pour le marché d’actions dans ce contexte?

Les marchés vont rester volatils, suspendus à l’évolution du conflit mais, plus encore, aux fluctuations de prix des matières premières. Leur cours est effectivement considéré comme la principale courroie de transmission des conséquences de cette guerre sur les économies développées, la Russie ayant un poids négligeable dans la balance mondiale et l’exposition au risque russe des établissements financiers étant relativement limitée, contrairement à ce qui prévalait en 1998. Tout dépendra donc de l’ampleur de la hausse du prix du baril de pétrole, de sa durée et de la capacité à trouver des sources de substitution (Iran ?, réserves stratégiques). Le fait que ces évènements arrivent à un moment où les économies américaines et européennes sont bien orientées et que la Chine manifeste des signes d’amélioration permettra d’amortir le choc. En revanche, cet environnement accroît les craintes inflationnistes.

Toutefois, gardons à l’esprit que l’évolution des marchés au cours des derniers jours révèle une anticipation de stagflation, pouvant paraître excessive à ce stade. La baisse de 15% des marchés de la Zone euro annule les deux tiers de leur hausse de 2021 et ramène les indices à leur niveau de fin 2020 alors que, dans le même temps, les bénéfices ont augmenté de 20%(9). En conséquence, les valorisations sur les marchés d’actions européens sont devenues plus attrayantes, avec des primes de risque en net rebond, conséquence de la baisse conjuguée des taux et des marchés. Le marché actions américain reste, quant à lui, moins vulnérable.

 

Achevé de rédiger le 04/03/2022


(1) SWIFT : La “Society for Worldwide Interbank Financial Télécommunication” a pour mission servir de réseau par lequel les messages permettant d’initier les paiements internationaux sont échangés.
(2) Stagflation : Situation économique où le ralentissement de la croissance, parfois la récession, s’accompagne d’une hausse des prix et des salaires.
(3) Source : L’ensemble des données chiffrées citées dans les deux paragraphes précédents proviennent de Bloomberg, 03/03/2022.
(4) Value : On parle de stratégie “Value” lorsque celle-ci recherche des sociétés sous-évaluées par le marché à un instant donné, c’est-à-dire dont la valorisation boursière est inférieure à ce qu’elle devrait être au regard des résultats et de la valeur des actifs de l’entreprise. Les investisseurs “value” sélectionnent des titres présentant des ratios cours/valeur comptable faibles ou des rendements de dividendes élevés.
(5) Source : Bloomberg, 03/03/2022.
(6) Source : FMI, février 2022.
(7) Source : Eurostat, février 2022.
(8) Source : Consensus forecast, février 2022.
(9) Source : Bloomberg, 03/03/2022.

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