À Washington, la SEC a levé un verrou: l’approbation d’ETF crypto ne passera plus par des procédures interminables. Désormais, Solana, XRP, Dogecoin et consorts entrevoient un accès express aux marchés traditionnels — et avec eux, des milliards de capitaux institutionnels prêts à franchir le pas. On en parle dans l’Analyse Cryptique, après les actualités essentielles à retenir cette semaine.

Par Laurent Pignot, Analyste

 

Les actualités essentielles

Tether vise une levée record de 20 milliards de dollars pour construire un empire au-delà des stablecoins

Le géant des stablecoins Tether serait en discussions avancées pour lever entre 15 et 20 milliards de dollars, selon Bloomberg. Objectif : accélérer sa diversification bien au-delà de l’USDT, déjà leader avec plus de 172 milliards de dollars en circulation. Cette levée, qui valoriserait Tether jusqu’à 500 milliards de dollars (au niveau d’OpenAI ou SpaceX), servirait à financer ses projets dans l’IA, l’énergie, les médias, la communication ou encore les matières premières. Un pari colossal, au moment où la société vient de lancer USAT, son stablecoin taillé pour le marché américain, afin de contourner les barrières réglementaires de l’USDT aux États-Unis. Si l’opération aboutit, Tether s’imposerait comme l’un des acteurs financiers les plus puissants du Web3 mondial.

Changpeng Zhao déploie 10 milliards via Yzi Labs, son fonds crypto à l’ambition mondiale

L’ex-patron de Binance, Changpeng Zhao, continue de peser dans l’écosystème crypto via Yzi Labs, un fonds d’investissement lancé début 2025 et capitalisé à hauteur de 10 milliards de dollars issus de sa fortune personnelle et d’ex-dirigeants de Binance. Dirigé par Ella Zhang, Yzi Labs pourrait bientôt s’ouvrir à des investisseurs externes, tout en renforçant ses compétences en IA, biotech et robotique, au-delà des 70% de fonds encore dédiés aux cryptomonnaies. Alors que CZ purge encore sa peine liée aux accusations de blanchiment et cherche un pardon présidentiel, certains y voient déjà une rampe de lancement pour son retour dans les affaires. Le fonds s’impose en tout cas comme un acteur majeur du capital-risque Web3, soutenu par l’une des plus grosses fortunes crypto au monde: 81 milliards de dollars.

Trump & cryptos: World Liberty Financial prépare sa carte de paiement

Le projet crypto de la famille Trump, World Liberty Financial (WLFI), ne ralentit pas. Après avoir lancé deux cryptos, le groupe s’apprête à sortir sa propre carte de paiement, bientôt intégrable à Apple Pay, selon son cofondateur Zak Folkman. Il promet également une application de paiement, mi-Venmo, mi-Robinhood, mais sans blockchain propre, World Liberty se voulant “agnostique” et non opérateur d’infrastructures. Malgré des controverses sur des conflits d’intérêts, le projet poursuit son expansion, appuyé par une stratégie à long terme: “on pense en décennies”, assure Zak Folkman.

La Deutsche Bank compare le Bitcoin à l’or 

Dans un rapport publié cette semaine, la Deutsche Bank trace un parallèle audacieux entre bitcoin et l’or. Longtemps vu comme un actif spéculatif, le BTC serait en train de changer de statut, porté par l’intérêt croissant des investisseurs institutionnels et son potentiel en tant que couverture macroéconomique. La banque allemande estime que « l’histoire se répète » : comme l’or jadis, le bitcoin gagne en maturité malgré la volatilité et les doutes initiaux. Avec la chute du dollar dans les réserves mondiales (43% contre 60% en 2000), le BTC pourrait séduire les banques centrales, qui cherchent de nouveaux actifs refuges. Selon la Deutsche Bank, le bitcoin pourrait intégrer les bilans officiels d’ici 2030, aux côtés de l’or. Un scénario de cohabitation, où les deux actifs rempliraient un rôle stratégique de diversification face aux incertitudes géopolitiques et monétaires.

L’Analyse Cryptique de la semaine

La SEC, le gendarme boursier américain, vient d’approuver des standards de cotation génériques pour les ETF adossés à des cryptomonnaies. Fini le labyrinthe procédural des 240 jours de revue. Désormais, une règle unique – le fameux Rule 6c-11 – permettra de valider en quelques semaines ce qui prenait des mois.

Pour les amateurs d’altcoins, c’est une révolution. SolanaXRPLitecoinDogecoin, et une douzaine d’autres actifs qui disposent déjà de contrats à terme listés sur Coinbase ou de cadres de surveillance pourraient bientôt voir leur ETF spot approuvé. L’idée est simple: si un actif est déjà sous surveillance via futures ou ETF existant, il peut désormais servir de sous-jacent sans repasser par la procédure lourde du Rule 19b-4.

  • Rule 19b-4 C’est la procédure lourde : à chaque fois qu’une Bourse (NYSE/Nasdaq/Cboe) veut lister un nouvel ETF “inhabituel” (ex : crypto spot), elle doit déposer un dossier de changement de règles auprès de la SEC. La SEC a jusqu’à environ 240 jours pour dire oui/non. Ce qui est donc globalement long, incertain.
  • Rule 6c-11 : C’est la voie rapide pour les ETF standards : si l’ETF respecte des critères prédéfinis (surveillance du marché, transparence, liquidité, etc.), pas besoin de repasser par 19b-4. La Bourse peut le lister “par défaut” beaucoup plus vite. Donc pour des cryptos déjà sous surveillance (via des contrats à terme régulés ou un cadre existant), un ETF spot peut être validé en semaines plutôt qu’en mois.

Les observateurs n’ont pas tardé à réagir. James Seyffart (Bloomberg Intelligence) parle du “framework que l’on attendait depuis des années”; Eric Balchunas ajoute (Bloomberg): “La dernière fois que la SEC a introduit des standards génériques pour les ETF, le nombre de lancements a triplé. Attendez-vous à voir plus de 100 ETF crypto débarquer dans les 12 prochains mois”. Autrement dit: un déluge réglementé.

Le même scénario appliqué aux cryptos pourrait bouleverser la cartographie de l’investissement: non seulement des dizaines de nouveaux produits, mais aussi une ouverture massive de capitaux jusqu’ici bloqués hors de l’écosystème. Fonds de pension, compagnies d’assurances, 401(k), gestionnaires de fortune: autant d’acteurs qui n’avaient ni la volonté ni la capacité d’ouvrir un compte sur un exchange, mais qui savent très bien acheter un ETF coté au Nasdaq.

Tout ne sera pas automatique. Les règles exigent encore que les actifs éligibles soient sous surveillance ou sous-jacents de contrats à terme réglementés depuis au moins six mois. Mais la porte est entrouverte, et pour les altcoins qui attendaient sur le banc de touche, la perspective est claire : un ticket d’entrée légitime dans la finance traditionnelle.

Au-delà de l’effet d’annonce, un autre mouvement s’accélère: la diversification. Grayscale a obtenu le feu vert pour transformer son Digital Large-Cap Fund en ETF, ouvrant la voie aux produits indiciels crypto. Comme pour les indices boursiers, l’idée est d’offrir une exposition instantanée à un panier de tokens sans parier sur un seul. Une formule séduisante pour les institutionnels prudents, mais aussi pour les particuliers qui cherchent une porte d’entrée “clé en main” dans l’univers volatil des cryptos.

En clair: après avoir fait basculer bitcoin (BTC) et ether (ETH) dans l’ère des ETF, la SEC vient d’ouvrir le bal pour tout le reste. La prochaine “altcoin season” ne se jouera peut-être pas sur Binance ou Coinbase… mais sur les écrans des gérants de portefeuilles de Wall Street. Affaire à suivre.