La croissance du PIB réel pourrait connaître son meilleur trimestre de l’année au T4, au voisinage de 4% l’an selon certains modèles de nowcasting. Ce n’est pas exactement l’image qu’on se fait d’une économie au bord de la récession. Au même moment, le climat des affaires fléchit, donnant un signal franchement négatif pour l’activité des prochains mois. Les indicateurs de prix peuvent également prêter à des interprétations différentes. En somme, il y a des risques baissiers sur l’activité mais les risques haussiers sur l’inflation n’ont pas totalement disparu, loin s’en faut. Plein emploi mais inflation toujours élevée, la Fed ne peut faire moins que de conserver un biais restrictif.

Focus US par Bruno Cavalier, Chef Economiste et Fabien Bossy, Economiste

 

2023.01.16.Agrégation des indices de confiance des entreprises
US : agrégation des indices de confiance des entreprises

Ces derniers mois, on a pu observer une divergence de plus en plus marquée entre diverses catégories d’indicateurs économiques. D’un côté, on peut mettre tout ce qui concerne le marché du travail et le consommateur: le chômage est au plus bas, les créations d’emplois sont robustes, le crédit à la consommation augmente vivement. Le dernier nowcast de la Fed d’Atlanta signale que la hausse du PIB réel pourrait approche 4% t/t en rythme annualisé au T4, dont 2.5 points venant de la consommation privée et 0.8pt de l’investissement non-résidentiel. De l’autre côté, les indicateurs avancés fléchissent les uns après les autres. Cela a commencé avec la construction résidentielle, puis la faiblesse s’est étendue à l’industrie, et plus récemment aux services. Nos indices agrégés des enquêtes de climat des affaires sont désormais entrés dans une zone qu’on n’a jamais atteinte en dehors des périodes de récession (graphe).

2023.01.16.Questions sur les prix dans les enquêtes auprès des entreprises
US : questions sur les prix dans les enquêtes auprès des entreprises

A y regarder dans le détail, les enquêtes auprès des entreprises montrent aussi des signaux mitigés. Toutes les questions touchant aux nouvelles commandes montrent un déclin qui s’amplifie. Les données sur la production indiquent plutôt une stagnation. Les composantes relatives au prix, quoiqu’en repli depuis leurs pics récents, montrent toujours des pressions supérieures à la normale (graphe). Aux Etats-Unis, une récession, c’est avant tout une récession du consommateur, et cela implique un retournement de l’emploi. A première vue, ce signal reste muet mais là encore, à un degré plus fin, quelques craquements apparaissent. Pour l’instant, les entreprises ne licencient pas mais elles réduisent le volume des heures travaillées. La Fed de Kansas City compile un indicateur du momentum du marché du travail. Depuis deux mois, il est passé en territoire négatif. En somme, il y a un certain brouillard entourant l’économie US. Chacun pourra en tirer des conclusions différentes quant à la politique monétaire. Le marché est de plus en plus convaincu que la faiblesse de l’économie amènera la Fed à changer de pied d’ici quelques mois. La désinflation est désormais bien engagée, mais il reste beaucoup à faire. Les conditions pour une inversion du cycle monétaire ne sont certainement pas encore réunies.

Economie

En décembre, ce qui a retenu le plus l’attention dans le rapport sur le marché du travail, c’est la révision des données de salaires du mois précédent Pour rappel, le chiffre initial avait indiqué une réaccélération de la croissance des salaires, annulant les quelques signes de plafonnement observés durant l’été. Le chiffre final corrige ce rebond de sorte que la tendance des salaires affiche une modeste décélération. Sur un an, le taux de salaire horaire a augmenté de 4.6%, vs 4.8% le mois précédent et 5.2% il y a six mois. Cela reste supérieur à la moyenne pré-Covid (3.3%) et supérieur à ce que la Fed considère comme raisonnable.

Le reste du rapport ne signale pas que les tensions sur le marché du travail soient en train de fléchir; au mieux, elles se modèrent légèrement. Le taux de chômage est retombé à son point bas de cycle à 3.5%. Le rythme des créations d’emplois a ralenti modestement à +223.000, ce qui reste toujours supérieur à la tendance normale qui se situe entre 100 et 150.000. Les rares indicateurs négatifs concernent l’emploi temporaire, qui poursuit son recul amorcé en juillet (-3.5% en cumulé), et la durée hebdomadaire de travail (-1.4% sur un an). Dans l’industrie, le nombre d’heures supplémentaires est au-dessous de 3 heures par semaine, un niveau historiquement associé à une récession.

En décembre, l’ISM services qui avait jusque-là étonnamment résisté a baissé de 6.9 points pour tomber en zone de contraction à 49.6. Cet indice comble ainsi l’écart important qui s’était creusé avec les autres indices de confiance dans les services (PMI et enquête des Fed régionales). La chute avoisine 10 pts pour les indices de production (à 54.7) et les nouvelles commandes (à 45.2). L’indice des prix payés se modère faiblement (-2.4pts à 67.6).

En décembre, les prix à la consommation ont baissé de 0.1% m/m, tirés vers le bas par l’énergie (-4.5%). Le mouvement de désinflation amorcé en juillet se poursuit. L’inflation annuelle a baissé de 7.1% à 6.5%. L’indice sous-jacent ralentit moins vite (-0.3pts à +5.7%). Ces résultats ont conforté les marchés de taux dans leurs vues au sujet d’un pivot baissier de la Fed dans les prochains mois. Certains détails sont moins plaisants toutefois. La modération des prix de biens manufacturés n’est due qu’aux véhicules d’occasion (-2.5% m/m), mais sans cette contribution, les prix de biens ont rebondi. Le prix des services de logements ne donne toujours aucun signe de freinage (+0.8% m/m). Quant aux prix des autres services, auxquels la Fed prête tant d’attention, ils ont repris 0.4% m/m, après deux mois de quasi- stagnation. En somme, les tensions inflationnistes fondamentales n’ont pas toutes disparu.

Politique monétaire et budgétaire

De toutes les déclarations récentes des membres du FOMC, on retiendra que nul n’envisage de stopper le mouvement de hausse des taux, et encore moins de discuter de baisses de taux en 2023,mais beaucoup semblent prêts à modérer le rythme de hausse à +25pdb à la réunion du 1er février.

Le 6 janvier, le parti républicain s’est finalement entendu pour élire Kevin McCarthy au poste de Speaker de la Chambre des Représentants. Cette victoire acquise après quatre jours d’indécision et seulement au 15ème tour de scrutin a obligé le candidat à faire des concessions à la quinzaine de « mutins » de son propre camp. Tout d’abord, il a dû accepter que son poste puisse être remis au vote à la demande d’un seul membre de la Chambre et, vu l’étroitesse de la majorité du GOP (seulement 10 voix), une telle demande pourrait aboutir. De plus, il s’est semble-t-il engagé à ne pas soutenir un relèvement du plafond de la dette fédérale s’il n’y a pas en contrepartie des coupes automatiques dans les dépenses – ce que les Démocrates ne sauraient accepter. La question du plafond de dette devrait ressurgir en juillet ou août. Cela n’est pas sans rappeler la situation de 2011 sous la présidence de Barack Obama. Pour affaiblir la Maison Blanche, la majorité républicaine de la Chambre, largement sous l’influence du Tea Party, avait bloqué tout relèvement du plafond, mettant les Etats-Unis presque au bord du défaut technique, avant un accord de dernière minute. L’agence S&P avait baissé la note souveraine, et cet épisode avait été le déclencheur d’une vague de turbulences sur les marchés de capitaux.

A suivre cette semaine

Les données de ventes au détail, production industrielle (18 janvier) et mises en chantier de décembre (19) permettront d’affiner les prévisions de croissance du PIB réel au T4. Les premières enquêtes de janvier donneront une idée des tendances à l’entrée du T1: indices manufacturier de la Fed de NY (le 17) et Philadelphie (19) , confiance des constructeurs de maisons (18), Livre Beige de la Fed (18).

 

Sources : Thomson Reuters, Bloomberg, ODDO BHF Securities