Les dépôts bancaires suivent normalement une ascension régulière. Or depuis un an, ils sont en érosion continue (-3% environ). Pour l’essentiel, cette correction est un retour à la normale après deux ans durant lesquels les dépôts avaient bondi du fait des transferts du gouvernement au secteur privé. Dans un régime de taux plus élevés, les banques sont concurrencées pour cette ressource traditionnellement bon marché. Cela accroît leur besoin de financement et son coût. Le problème est plus aigu pour les banques de taille moyenne qui ont un rôle majeur dans l’immobilier commercial. Il ne fait guère de doute que cela pèsera sur le crédit, même s’il est hasardeux à ce stade de chiffrer l’impact.

Focus US par Bruno Cavalier, Chef Economiste et Fabien Bossy, Economiste

 

2023.04.03.dépôts bancaires, par taille de banques
US : dépôts bancaires, par taille de banques

Durant la pandémie, ménages et entreprises ont reçu d’importants transferts directs du gouvernement. Les dépôts bancaires se sont envolés. En temps normal, ils suivent une tendance régulière de +6% par an, soit à peu près la hausse du PIB nominal. En 2020 et 2021, ils ont augmenté trois fois plus vite (graphe). A ce moment-là, l’économie étant soumise à des contraintes sanitaires, les entreprises faisaient moins d’emprunts et les ménages étaient bridés dans certaines de leurs dépenses. Sur les 4.7tr$ de dépôts supplémentaires de 2020 à 2022, 0.8tr$ ont servi à financer des prêts (17% du total quand la normale était plus proche de 65%). Le résidu de 3.9tr$ s’est réparti presque à parts égales entre hausse du portefeuille-titres des banques et hausse de leurs liquidités. A son maximum début 2022, l’excès de dépôts représentait près de 3.4tr$, deux tiers étant détenus par les ménages (la fameuse « épargne Covid »), un tiers par les entreprises.

2023.04.03.poids des petites:moyennes banques
US : poids des petites/moyennes banques (dépôts et CRE)

Cette situation appelait une normalisation. Elle a débuté quand la Fed a lancé le cycle de resserrement monétaire début 2022. En un an, le montant des dépôts bancaires a baissé de 384Md$ et l’encours de prêts a progressé d’environ 1.2tr$. Que s’est-il passé dans les autres grands postes du bilan? A l’actif, il y a une baisse du montant du cash (-610Md$) et du portefeuille-titres (-299Md$). Au passif, pour combler l’écart, les banques se sont endettées. Jusqu’à ces derniers jours, ces évolutions ne traduisaient aucun stress. Les dépôts restent encore bien au-dessus de leur tendance pour 2.2tr$, dont les deux tiers environ sont couverts par un excédent de liquidités. S’il fallait d’un coup revenir à la normale, le système bancaire devrait toutefois liquider des actifs, avec des pertes sur les valorisations, et au bout du compte réduire ses prêts à l’économie. C’est l’origine du stress récent. Il est concentré sur les petites/moyennes banques du fait de leur bilan atypique: elles sont surexposées aux prêts à l’immobilier commercial, précisément l’un des secteurs les plus sensibles aux hausses de taux de la Fed (graphe). Elles représentent près 70% des encours alors qu’elles ne représentent que 30% des dépôts.

Economie

En mars, les premières enquêtes de climat des affaires parues à ce jour sont mitigées. Dans leur majorité, les indices des Fed régionales pointent vers le bas. A l’opposé, les PMI se sont redressés, avec un gain de 2pts à 49.3 dans le secteur manufacturier et une hausse de 3.2pts à 53.8 dans les services.

Selon l’enquête du Conference Board, la confiance des ménages a un peu progressé en mars, sans toutefois effacer le recul de février. L’indice des conditions d’emploi reste proche de son pic historique et ne présage pas une remontée du taux de chômage à court terme.

En janvier, pour le septième mois de suite, le recul du prix des maisons existantes s’est poursuivi mais sans accélération manifeste. Selon les indices S&P/Case-Shiller, les baisses les plus notables touchent les villes de la côte ouest, surtout la Californie: San Francisco (-17% vs pic), Seattle (-16%), San Diego (-11%), Los Angeles (-8%). C’est le contre-coup d’un emballement plus marqué des prix dans ces métropoles durant la pandémie. Signe d’apaisement, les promesses de ventes de maisons ont amorcé un redressement depuis trois mois. Sur cette période, elles ont repris 10%, mais affichent toujours un large recul annuel (-21%).

2023.04.03.housing price data

Politique monétaire et budgétaire

Les responsables de la régulation et de la supervision financière ont été auditionnés ces derniers jours par des comités du Congrès. Pour l’essentiel, leur discours est que dans les faillites récentes, le problème venait de facteurs propres à chaque banque, par exemple dans le cas de SVB une gestion des risques totalement défaillante. Ce problème avait été identifié et signalé par les autorités de contrôle mais sans donner lieu à une correction par les dirigeants de la banque. Autrement dit, il s’agit de faire une distinction entre ces cas particuliers et le reste du système bancaire décrit comme « sain et résilient, avec des fonds propres et des liquidités solides ». Pour autant, Michael Barr, gouverneur de la Fed chargé de la supervision financière, a admis que les pratiques de supervision avaient failli. Martin Gruenberg, président de la FDIC, a estimé que la faillite de SVB représenterait un coût de 22.5Md$ pour l’assurance fédérale des dépôts. La Maison Blanche voudrait que la réglementation soit durcie pour les banques ayant entre 100 et 250Md$ d’actifs (c’était le cas de SVB) mais c’est un sujet qui est loin de faire l’unanimité au Congrès.

Concernant la politique monétaire, le ton général s’inscrit dans la ligne du principe de séparation entre les objectifs de stabilité financière et de stabilité économique (lutte contre l’inflation), et par suite, une séparation entre les instruments pour y arriver, mesures macroprudentielles d’un côté, hausse des taux d’intérêt de l’autre. James Bullard (Fed St.Louis) a défendu cette position. En pratique, cette séparation n’est pas si étanche que cela, ne serait-ce que parce que les craintes sur les banques sont la conséquence du resserrement monétaire. Symétriquement, si la disponibilité du crédit à l’économie se tasse, cela aura un effet déprimant sur la demande, ce qui est le but des hausses de taux directeurs.

Le 29 mars, dans une réunion privée avec quelques membres du Congrès, Jerome Powell ne s’est pas engagé sur la prochaine décision, se contentant de rappeler que le scénario médian du FOMC prévoit une ultime hausse de taux de 25pdb. Selon les contrats sur fonds fédéraux, le marché est partagé entre hausse et statu quo à cette réunion; il table ensuite sur des baisses de taux répétées au S2 2023.

A suivre cette semaine

Même si les données macroéconomiques ont été reléguées au second plan depuis la chute de la Silicon Valley Bank le 10 mars et la poussée de stress bancaire qui a suivi, elles restent un input essentiel dans la fonction de réaction de la Fed. A ce titre, le rapport sur les conditions d’emploi pour mars (7 avril) est à suivre de près. Pour rappel, en janvier, le marché du travail était en ébullition (payrolls >500k). Même si cela venait en partie d’une météo clémente, la vue générale était que la politique monétaire n’avait pas été assez durcie pour calmer la surchauffe. Le rythme des créations d’emploi avait un peu ralenti en février (311k) mais restait toujours élevé. Les autres données importantes sont les enquêtes ISM de confiance des directeurs d’achat dans le secteur manufacturier (3 avril) et les services (5 avril).

Sources : Fed, ODDO BHF Securities