La crise de l’énergie, concentrée à ce jour sur le marché du gaz naturel, n’épargne pas les Etats-Unis. Les prix ont doublé par rapport au niveau moyen de la décennie précédant la pandémie. A ce niveau, le coût serait de 0.3pt de PIB à supporter par le consommateur et le surcroît d’inflation de 0.3 point. A première vue, pas de quoi remettre en cause le scénario central d’une reprise économique solide associée à un surajustement de l’inflation, et basculer vers un scénario de stagflation (faible croissance, dérapage de l’inflation). Le risque serait autre en cas de contagion au secteur pétrolier. La hausse du WTI d’environ 10% en un mois est à surveiller.

Focus US par Bruno Cavalier, Chef Economiste et Fabien Bossy, Economiste

 

US : prix du gaz et de l’électricité
US : prix du gaz et de l’électricité

Depuis que la reprise post-confinement a débuté, les prix de gros du gaz naturel montent de manière presque continue aux Etats-Unis. Le reste du monde, dont l’Europe, connaît aussi une pénurie. Dernièrement, la hausse a tant accéléré que les prix sont au plus haut depuis 2008. Quelle est la répercussion sur l’inflation et l’activité? La consommation de gaz se divise à peu près en trois tiers: l’un sert à la production d’électricité (40% est d’origine gazière), un autre pour l’industrie et le reste va vers des usages commerciaux et résidentiels. L’impact sur les ménages est atténué. Dans le CPI, le poids du gaz distribué est 0.7%, celui de l’électricité 2.5%, deux prix peu volatiles (graphe).

On estime qu’une hausse de 20% du prix de gros du gaz a après trois mois un impact de 0.05 pts sur l’inflation annuelle. Le doublement récent des prix pourrait donc ajouter 0.25pts. Si la hausse perdure, l’impact pourrait être supérieur via la hausse des prix des produits industriels. L’inflation étant déjà élevée (>5%), il y a de quoi rendre la Fed plus nerveuse et entretenir la crainte d’un choc ponctionnant le pouvoir d’achat.

US : poids des dépenses énergétiques par source
US : poids des dépenses énergétiques par source

A court terme, la demande étant peu élastique, il y a un renchérissement de la facture énergétique, de quoi détourner des ressources d’autres postes de dépenses. Pour quel montant? Si l’on s’en tient au seul gaz, la demande des ménages et des entreprises passerait de 0.5% à environ 0.8% du PIB au S2 2021 (graphe). Cela dit, les Etats-Unis sont aussi un important producteur, et même un exportateur pour 11% de la production de gaz naturel. Les entreprises du secteur sont donc censées profiter de ce transfert de ressources, qui peut ensuite servir à rémunérer leurs actionnaires ou à autofinancer des dépenses d’investissement.

Au total, l’effet net est négatif, mais d’une importance minime et ne représente pas un frein sérieux à la poursuite de la reprise1. Il en irait autrement s’il y avait une contagion aux autres secteurs énergétiques, en premier lieu le secteur pétrolier, qui est quatre fois plus gros. Le consommateur serait touché de manière directe et rapide. Dans l’histoire, un choc gazier n’a jamais causé de récession, un choc pétrolier oui1. A titre de précaution, le Secrétaire à l’Energie a laissé entendre qu’au besoin les réserves stratégiques pourraient être employées pour amortir le choc.

Economie

En août, les dépenses totales de consommation ont augmenté de 0.8% m/m, après une quasi-stagnation en juillet (-0.1% m/m). Sur les deux premiers mois du T3 2021, l’acquis est de +5.1% t/t annualisé, vs +19% au T2. Le tassement du rythme de consommation pèsera sur la croissance du PIB réel au T3. Cela dit, les tendances sont fort différentes selon la nature des dépenses. Les dépenses en biens durables (12% du total) ont baissé pour le quatrième mois de suite, en bonne partie du fait de la chute des ventes d’automobiles. Sur ce segment, le repli s’est d’ailleurs prolongé en septembre, et il n’a pas de raison de s’arrêter tant que la production de nouveaux véhicules reste bridée par les pénuries d’intrants. C’est aussi le contre-coup de l’envolée constatée l’an dernier.

Les dépenses en biens non durables (22% du total) évoluent en dents de scie depuis le dernier versement d’un chèque aux ménages en mars dernier. A l’opposé, les dépenses en services, qui couvrent les deux tiers restants, avaient pâti l’an dernier lors du confinement, mais ont depuis renoué avec une tendance haussière assez régulière (+1% par mois depuis le début de l’année, +0.6% en août, période marquée par la vague Delta).

L’inflation mesurée par l’indice PCE – qui est l’indice que privilégie la Fed – semble à peu près stabilisée sur un plateau élevé depuis quelques mois. En août, elle ressort à +4.3% sur un an pour l’indice total et +3.6% pour l’indice sous-jacente. Il y des différences de niveaux avec le CPI qui sont dues à écarts de méthode, mais dans les deux cas, le signal est consistant: la succession de chocs ponctuels ces derniers mois aboutit à maintenir l’inflation à un haut niveau. Vu les effets de base, un reflux est peu probable d’ici la fin de l’année.

En septembre, les indices ISM ont progressé dans le secteur manufacturier (+1.2pts à 61.1) et dans les services (+0.2pt à 61.9).

Politique monétaire et budgétaire

Ne voulant pas courir au-devant d’un échec, Nancy Pelosi, Speaker de la Chambre de Représentants, a différé le vote sur le plan de dépenses d’infrastructure prévu le 30 septembre (plan déjà voté par le Sénat avec un soutien bipartisan). Certains élus démocrates du camp « progressiste » y ont vu une victoire de leur position, car ils refusent de soutenir ce plan sans avoir la garantie que le camp « modéré » voterait, lui, pour le plan de dépenses sociales et environnementales d’environ 3.5tr$.

En fait, cet épisode illustre la grande fracture entre Démocrates. Si chaque camp reste sur ses positions, le risque est qu’aucun de ces deux projets n’aboutisse. Pour calmer les tensions, le président Biden a engagé diverses consultations avec les élus démocrates le 1er octobre. Pour quelques jours ou semaines, les choses vont rester en l’état. Il est peu probable que le chiffre de 3.5tr soit retenu car il ne saurait faire l’unanimité du camp démocrate; il devra être significativement revu en baisse (la presse a rapporté des discussions informelles autour de 2tr$).

Plusieurs options farfelues visant à contourner le plafond de la dette fédérale ont été évoquées ici et là. Par exemple, suspendre la « flibuste » législative pour un jour le temps d’augmenter le plafond, ou bien demander au Trésor, par le biais de l’US Mint, de graver une pièce en platine d’une valeur de 1tr$ servant ensuite à effacer une partie de la dette existante! La division partisane reste forte. Les Républicains refusent de voter une hausse du plafond, les Démocrates ne veulent pas légiférer dans le cadre du « reconciliation bill » qui permet d’avoir un vote à la majorité simple au Sénat (au lieu de la majorité qualifiée de 60%). La date-limite du 18 octobre approchant, de timides avancées ont eu lieu entre les deux partis. Le Sénat a relevé le plafond de 380Md$, déplaçant le problème au 3 décembre. Quel progrès!

A suivre cette semaine

Les minutes de la dernière réunion du FOMC seront publiées le 13 octobre. Pour rappel, Jerome Powell avait signalé l’intention de la Fed de commencer à réduire ses achats d’actif dans un avenir proche. Sauf mauvaise surprise économique, une annonce en ce sens est probable à la réunion du 3 novembre.

Au calendrier statistique, il y a deux gros morceaux, le CPI (le 13) et les ventes au détail (le 15), et quelques données de moindre importance (rapport JOLTS le 12, PPI le 14, enquête de l’Université du Michigan sur la confiance des ménages le 15).

Depuis trois mois, le taux annuel d’inflation CPI est sur un plateau à 5.3-5.4% sur un an. Vu l’effet de base, il ne va pas baisser et pourrait même encore monter en septembre et octobre. Selon le « nowcast » de la Fed de Cleveland, il est estimé à 5.4% sur un an en septembre et 5.7% en octobre. Pas de quoi apaiser la nervosité de la Fed. On notera tout de même que le rythme de hausse mensuel s’est modéré, passant de 0.8% par mois au T2 2021, à 0.5% en juillet et 0.3% en août. Concernant les ventes au détail, l’indice CARTS de la Fed de Chicago, qui s’appuie sur les transactions par carte, projette + 0.6% m/m pour l’indice hors automobile.

 

1. Voir Kliesen (2006), Rising Natural Gas Prices and Real Economic Activity, St Louis Fed