A partir de mars 2020, dans le cadre des mesures d’urgence prises durant la pandémie pour soutenir l’économie, le remboursement des prêts étudiants avait été suspendu. Ces remboursements sont censés reprendre à partir d’octobre 2023, sauf nouvelle initiative de la Maison Blanche dans l’autre sens. En moyenne, ce choc représenterait presque un point de revenu disponible. Il sera avant tout supporté par les personnes constituant le gros de la force de travail (25-50 ans) et les ménages plutôt aisés. Il y a là de quoi peser significativement sur la consommation au T4 2023, avec peut-être des effets anticipés dès le T3. Cela peut aussi avoir des effets de bord sur les taux de défaut d’autres crédits.

Focus US par Bruno Cavalier, Chef Economiste et Fabien Bossy, Economiste

 

2023.07.10.dette des ménages
US : dette des ménages (hors crédit hypothécaires)

Au T1 2023, les ménages américains avaient 17 trillions de dollars de dette, représentant 64% du PIB. La part principale (70% du total) est constitué de crédit hypothécaire. En ce domaine, le taux d’endettement s’est réduit depuis le pic de la bulle du subprime à un niveau qui paraît facilement supportable (Focus-US du 30 juin, « Un point sur l’endettement des agents économiques« ). A l’opposé, avec l’inflation des frais de scolarité, une catégorie de dette a fortement grossi, ce sont les prêts étudiants (graphe).

En mars 2020, au début de la pandémie, le CARES Act avait suspendu pour six mois les paiements d’intérêt sur ces prêts, suspension prolongée plusieurs fois. A partir d’octobre 2023, ces paiements vont reprendre. Par ailleurs, la Cour Suprême vient d’invalider le plan d’annulation de Joe Biden qui portait sur environ un tiers de la dette étudiante (soit de 10 à 20K dollars selon les personnes concernées). La Maison Blanche cherche un moyen de réintroduire un allègement, mais rien n’est acquis. L’enjeu est aussi politique à l’approche des élections de 2024.

2023.07.10.distribution des prêts étudiants
US : distribution des prêts étudiants

La reprise des paiements d’intérêt est une ponction non négligeable sur le revenu. A ce jour, 16% des adultes (44 millions) ont à rembourser un prêt étudiant. Cette proportion croit avec le revenu: moins de 10% dans le quintile le plus bas, plus de 30% dans le quintile le plus haut. Les remboursements sont en général ajournés pendant la durée des études et démarrent après l’entrée dans la vie active. L’essentiel est concentré sur des personnes de 25 et 50 ans (tableau)(1). Considérant les conditions standard de ce genre de prêts, on estime que les remboursements pèseront en moyenne 0.8% du revenu disponible(2). A moins que des mesures règlementaires ne viennent alléger ce fardeau, il y a de quoi freiner significativement la consommation privée en fin d’année.

Economie

En mai, le déflateur des dépenses de consommation (PCE), une alternative au CPI, a augmenté de 0.1% m/m vs 0.3% par mois de janvier à avril. Pour l’indice sous-jacent, la hausse se modère aussi mais plus doucement, à +0.3% m/m vs 0.4% dans les mois précédents. En glissement sur un an, ces deux indices ressortent respectivement à 3.8% (pic à 7% en juin 2022) et 4.6% (pic à 5.4% en février 2022). Le reflux des pressions inflationnistes se voit dans toutes les décompositions possibles du PCE (indice médian de la Fed de Cleveland, indice tronqué de la Fed de Dallas) et toutes ses composantes à l’exception des véhicules d’occasion (tableau).

2023.07.10.US PCE inflation

En juin, les deux enquêtes auprès des ménages faites par l’Université du Michigan et par le Conference Board montrent aussi une baisse des anticipations d’inflation.

En juin, le moral des directeurs d’achat a fortement rebondi dans les service (+3.6pts à 53.9) tandis qu’il baissait encore dans le secteur manufacturier (-0.9pt à 46). Les services sont surtout le reflet de facteurs intérieurs et l’industrie des conditions globales. Ces rapports dépeignent une économie à deux vitesses, phénomène déjà observé en 2015. La politique monétaire était alors extrêmement stimulante, à la différence de la situation présente. Un tel écart paraît difficilement soutenable.

En mai, le rapport JOLTS sur les entrées/sorties du marché du travail était mitigé. Les ouvertures de postes effacent le rebond curieux du mois précédent (+6% m/m), ce qui fait baisser le ratio « postes vacants sur chômeurs » à 1.61, au plus bas depuis le T4 2021. Le taux de démission se redresse modérément mais reste inférieur à son pic. Il est évident que le marché du travail reste tendu, un peu moins que l’an passé. Sur la semaine du 1er juillet, les nouvelles inscriptions au chômage ont modestement rebondi. La moyenne sur trois mois se tasse à 253.000k.

Politique monétaire et budgétaire

Il n’y avait pas de révélations majeures dans les minutes de la réunion du FOMC, juste un énième rappel que presque tous ses membres envisageaient il y a trois semaines de continuer le resserrement de la politique monétaire. C’est ce qui ressortait du dot-chart publié à l’époque (Voir Focus-US du 16 juin: « La possibilité d’une hausse de taux.. ou de deux?« ). Jerome Powell avait aussi eu l’occasion de le dire en conférence de presse le 14 juin, puis devant un comité de la Chambre le 21 juin, puis devant un comité du Sénat le 22 juin, et encore une fois lors du forum de la BCE à Sintra le 28 juin. Sans compter les innombrables discours similaires de la part de ses collègues du FOMC, par exemple cette semaine encore John Williams (Fed de New York) et Lorie Logan (Fed de Dallas).

Combien de fois faut-il répéter la même « mauvaise nouvelle » (dans le cas présent, des taux plus hauts/plus longtemps) pour que ce soit vraiment considéré comme une « mauvaise nouvelle »? Au vu des contrats futures sur fonds fédéraux, l’estimation du taux terminal est revue en hausse sur les derniers jours à près de 5.5% le 7 juillet). Le marché obligataire a vivement corrigé avec un rendement des emprunts d’Etat à 10 ans au-dessus de 4%, niveau qui n’avait pas été dépassé depuis début mars, juste avant la débâcle de SVB.

A suivre cette semaine

Les prochaines publications macro seront concentrées sur les indices de prix du mois de juin: CPI (12 juillet), PPI (le 13), prix des échanges extérieurs (le 14). Plus encore que le mois précédent, il y aura un fort effet de base puisqu’en juin 2022 le CPI avait augmenté de 1.2% m/m et le CPI-core de 0.6% m/m. Le taux d’inflation annuel est donc attendu net recul, de 4.0% vers 3.0%, l’inflation sous-jacente se modérant de 5.3% à 5.0%. En amont de la prochaine réunion du FOMC le 26 juillet, la Fed publiera son Livre Beige le 12, de quoi avoir une vue assez large des conditions économiques au tout début du T3. Pour rappel, le dernier rapport de ce type décrivait une activité économique à plat ou e très légère hausse.

 

(1) Voir Federal Reserve (2017), Report on the Economic Well-Being of U.S. Households in 2016; Federal Reserve (2020), Changes in U.S. Family Finances from 2016 to 2019.

(2) Le BEA estime l’impact sur le revenu disponible à seulement 0.2% (38Mds$) mais il ne tient compte que des intérêts et non du remboursement du capital.

Sources : Thomson Reuters, Bloomberg, ODDO BHF Securities