Les prix de l’énergie évoluent en fonction des conditions de l’offre, de la demande et des stocks, mais aussi – c’est leur spécificité – selon les aléas de la géopolitique. La décision de l’OPEP+ de réduire sa production de pétrole, juste au moment les perturbations causées par la guerre en Ukraine s’apaisent, introduit une dose d’incertitude. Cela étant, les prix de l’énergie payés par les ménages US sont amenés à amplifier leur repli à court terme, ce qui pourrait ôter environ 2- 3 points à l’inflation totale d’ici juin. Ce n’est certes pas suffisant pour revenir sur la cible de la Fed mais, compte tenu des risques baissiers introduits par les turbulences bancaires, cela peut au moins justifier une pause dès juin.

Focus US par Bruno Cavalier, Chef Economiste et Fabien Bossy, Economiste

 

2023.04.11.prix réels de l'énergie, pour les ménages et les grossistes
US : prix réels de l’énergie, pour les ménages et les grossistes

En 2021 et 2022, l’énergie a fortement contribué à entretenir les tensions d’inflation aux Etats-Unis. Ce phénomène touche à sa fin. Début avril, les prix de gros de l’énergie étaient retombés à des niveaux qu’on peut considérer normaux, c’est-à-dire peu éloignés de leur moyenne de long terme. Depuis la mi-2022, le prix du pétrole recule. En termes réels(1), il se situe 15% au-dessus de sa moyenne 1990-2022 mais 40% au-dessous du plateau de 2011- 2013, et loin de son pic historique de juillet 2008 (l’équivalent de près de 200$ en dollars d’aujourd’hui). Le prix du gaz naturel qui avait connu de fortes tensions jusqu’à l’été dernier a lui aussi chuté, se situant 55% sous sa moyenne 1990-2022. La normalisation des prix de gros va se répercuter sur les prix payés par les ménages. Le CPI-énergie a déjà reculé de 11points depuis son pic de juin dernier. On estime qu’il perdra encore environ 15pts dans les prochains mois (graphe).

2023.04.11.contributions à l'inflation
US : contributions à l’inflation (actuel et prévisions)

Sur cette base-là, l’énergie contribuera négativement à l’inflation dès le prochain rapport du CPI. Cette contribution ira en augmentant dans les prochains mois… à moins bien sûr que les marchés de l’énergie ne subissent de nouveaux chocs géopolitiques(2). L’annonce non-anticipée d’une baisse de la production de pétrole des pays de l’OPEP le 3 mars a par exemple fait monter d’environ 5$ (7%) le cours du baril de WTI. A ce stade, ce n’est pas suffisant pour inverser la tendance. D’ici juin, nous estimons donc que l’énergie effacera de l’ordre de 2-3 points d’inflation (graphe). Partant de 6%, l’inflation dépassera encore la cible de la Fed mais assurément, l’inconfort n’est pas le même si l’écart se réduit à 1.5point alors qu’il était de 7pts à la mi-2022. Au S2 2023, c’est la composante « loyers » du CPI qui devrait se modérer(2). En somme, la Fed ne peut encore se permettre de relâcher sa vigilance mais l’espace pour poursuivre les hausses de taux est désormais limité. Cela n’implique pas que la fenêtre pour réduire les taux est déjà grande ouverte.

Economie

En février, l’inflation au sens du PCE a ralenti un peu plus qu’attendu, ressortant à 5% pour l’indice total (–0.3pts) et 4.6%% pour l’indice sous-jacent (-0.1pt).

En février, le rapport JOLTs sur les flux d’entrée/sortie du marché du travail était mitigé. Le nombre de postes vacants est repassé juste sous la barre des 10 millions pour la première fois depuis mai 2021, ce qui signale une grande prudence des entreprises. A l’opposé, le nombre d’embauches était quasi stable, et le nombre de démissionnaires a augmenté.

En mars, l’indice ISM du secteur manufacturier a fléchi (-1.4pts à 46.3), ressortant en zone critique pour le cinquième mois de suite. Les détails de l’enquête n’étaient pas bons, que ce soit l’emploi (-2.2pts à 46.9) ou les nouvelles commandes (-2.7pts à 44.3). Après deux mois de fort rebond, l’indice des prix payés s’est tassé à nouveau. Dans les services, l’indice ISM a baissé encore plus fortement mais depuis niveau plus haut (-3.9pts à 51.2). Là encore, l’indice des prix payés a reculé. En un mot, le message de ces enquêtes pointe vers une croissance ET une inflation plus faibles.

Politique monétaire et budgétaire

En période de stress bancaire, l’évolution des dépôts est scrutée de près grâce aux données hebdomadaires publiées par la Fed. Dans la semaine du 15 mars ayant suivi la faillite de SVB, la baisse des dépôts avait touché les banques de petite taille au profit des grandes banques, un phénomène typique de recherche de sécurité. Dans la semaine du 22 mars, l’érosion des dépôts s’est poursuivie, mais à un rythme un peu moins fort. De plus, renouant avec une tendance amorcée il y a un an, la baisse des dépôts concernait les grandes banques, non les petites (Voir aussi Focus-US de la semaine passée). Même fragile, c’est un signe que les dispositifs de la Fed assurant la liquidité du système bancaire (Discount window, BTFP) ont pu stopper la panique.

De manière concomitante, les actifs des fonds du marché monétaires (MMF) sont en forte hausse: +304Md$ en trois semaines. Ces fonds investissent dans des actifs sans risque, comme les bons du Trésor, et offrent une meilleure rémunération que les banques. En phase de hausse des taux, cet écart attire donc les investisseurs. Au sens strict, il est abusif de dire que les MMF siphonnent les ressources des banques car ils n’ont pas le droit de recevoir des dépôts du public. Investir dans ces fonds devrait en théorie être neutre, car toute baisse sur le compte d’un particulier est compensée par une hausse sur le compte du MMF. La réalité est différente car ces fonds, bien que n’étant pas des banques, ont accès à la facilité de reverse repo (RRP) de la Fed et peuvent y déposer leur cash contre rémunération (4.8% actuellement). Ce faisant, il y a bien une fuite de dépôts hors du système bancaire. La facilité RRP draine quotidiennement plus de 2200Md$, en hausse d’environ 700Md$ depuis que la Fed a commencé à augmenter ses taux en mars 2022.

2023.04.11.fonds d'investissement

Cette semaine, plusieurs membres du FOMC ont souligné les signes d’apaisement du secteur bancaire après deux semaines agitées. Pour certains, cela conforte leur biais restrictif sur fond d’inflation persistante. Loretta Mester (Cleveland) voit les taux directeurs un peu au-dessus de 5%. James Bullard (St Louis) vise même plus haut entre 5.5% et 5.75%.

Donald Trump a été inculpé par un tribunal de New York le 4 avril, mais sans nouvelle révélation. En réaction, la base républicaine et même certains candidats à la primaire tendent à serrer les rangs autour de l’ancien président, qui en ressort renforcé!

A suivre cette semaine

Après les données de créations d’emploi (7 avril), sont à paraître des statistiques importantes pour apprécier les tensions dans l’économie US: prix à la consommation en mars (le 12), prix à la production (13), ventes au détail et production industrielle (14). Les minutes de la dernière réunion du FOMC seront publiées le 12. Le taux d’inflation devrait nettement ralentir par suite d’un fort effet de base, contrecoup de l’envolée des prix de l’énergie en mars 2022 après l’invasion de l’Ukraine. A l’opposé, le taux d’inflation sous-jacente a peu de chance de baisser et pourrait même monter.

 

(1) Pour déflater les prix nominaux de l’énergie, on utilise ici l’indice CPI-core (qui exclut l’énergie).

(2) Voir Focus-US du 20 octobre 2022: « Crise immobilière US : quel effet sur l’inflation ?« 

Sources : Thomson Reuters, Bloomberg, ODDO BHF Securities